Interviews

Si les cendriers pouvaient parler

Article écrit par Gabrielle Seil et datant du 14 avril 2000
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Neil Jordan vient d'adapter The End of the Affair, roman largement autobiographique de Graham Greene.

Le plus beau dans la version cinématographique de The End of the Affair, ce sont les effets sonores. Le crépitement rassurant de la pluie londonienne. L'écho hostile du bombardement de la ville - en 1939, l'Angleterre est en guerre. Puis les longues minutes de silence profond. Ou bien la voix si magique de Ralph Fiennes disant qu'il mesure l'amour en fonction de sa jalousie. Et comme celle-ci est infinie, son amour l'est aussi.

De fait, le romancier Maurice Bendrix (R.F.) aimerait mieux mourir que de savoir sa maîtresse dans les bras d'un autre homme. Or, un jour plus agité, prise de peur de perdre celui qu'elle aime elle aussi à la folie, Sarah Miles (Juliane Moore, parfaite) promet à Dieu de ne plus jamais revoir son amant. Pourvu qu'il demeure en vie. Quelle promesse fatale ! Car comme Bendrix ne meurt pas enterré sous les décombres de sa maison, la liaison secrète et passionnelle entre l'épouse lumineuse d'un mari rasant (Stephen Rea) et l'auteur jaloux de tout prend fin sur le coup. Par moments, The End of the Affair rappelle le film The English Patient d'Anthony Minghella. Surtout par la photo très soignée de Roger Pratt. Puis aussi par la construction non linéaire du récit, la même histoire étant racontée selon deux points de vue différents.

Et enfin par l'incontestable talent de Neil Jordan de capter toutes sortes d'émotions cachées. Il y a près de cinquante ans que Graham Greene (1904-1961) mit sur papier ce drame sentimental à fortes connotations autobiographiques. Depuis, pas mal de choses ont changé. Et non seulement notre conception de la fidélité soit conjugale, soit au Seigneur tout-puissant.

Dans The End of the Affair par contre, la foi en Dieu et en l'amour éternel joue un rôle considérable. Du moins pour les protagonistes centraux du film : Sarah qui croit aux miracles divins et que le bonheur est fragile sera délivrée de ses souffrances (morales et physiques), tandis que Bendrix qui nie la bonté venant d'en haut finit par subir un châtiment (juste ou non, peu importe). Autant de bondieuserie édifiante paraît un peu déplacée, mais heureusement tel n'est pas vraiment le cas. Heureusement aussi que les cendriers ne peuvent pas parler. Sinon on aurait sans doute rougi jusqu'au blanc des yeux.

Quoi qu'il en soit, et malgré quelques longueurs et redites superflues, The End of the Affair est avant tout une merveilleuse histoire d'amour impossible. Une belle romance à l'ancienne. Bien portée par un couple d'acteurs hors pair. Bien mise en scène par un Neil Jordan redevenu adulte (après ses films enfantins sur les vampires au sang chaud et le père spirituel de l'IRA, Michael Collins). Et si de temps en temps on soupire, c'est pas d'ennui mais plutôt d'aise.

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