Interviews

Oedipus - Critiques

Critiques traduites de l'anglais par Eily et datant d'octobre 2008

The london paper

Écrit par Ben Dowell
Lire l'article (en anglais) sur le site de the London Paper

Hmm, pas exactement une partie de plaisir, cette tragique et violente épopée de Sophocle. Mais si jamais un homme était né pour jouer ce héros courageux, analytique, arrogant, et finalement brisé, devenu par inadvertance parricide et amant de sa propre mère, alors c'est bien Ralph Fiennes.
Interprétant savamment à la fois la colère et la terreur, l'effarement et la vision claire de l'horreur dans sa déclamation imposante de la poésie déchaînée de Frank McGuinness, son roi semble mal à l'aise avec le pouvoir avant même qu'il extirpe la terrible vérité de l'histoire de sa vie.
Mis en scène avec force contre un horizon venteux et sur une scène tournante qui fait écho à la fatidique marche du temps (où le choeur ressemble, pendant un instant, à un étrange annonciateur de mauvais augure, et devient élégant l'instant d'après), cette représentation de moins de 100 minutes se révèle pour le publique aussi impitoyable que les Dieux qui jouent avec leurs peuples comme s'ils faisaient un sport. Mais c'est fichtrement fascinant.

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The Times

Écrit par Benedict Nightingale
Lire l'article (en anglais) sur le site du Times

Une parabole des temps précaires... comme les nôtres.

Ralph Fiennes fait son entrée, dans un astucieux costume de ville, ressemblant à un directeur de banque ou à un magnat de l'industrie. Son Oedipe est si sereinement sûr de lui-même que, pendant un instant insensé, on pense qu'avec lui comme président, les ennuis de Thèbes ne peuvent pas être aussi dévastateurs. Mais la production de Jonathan Kent poursuit son cours ironique, inévitable, et avec l'intensité frappante de la conclusion que voulait Sophocle. Et, à notre manière, nous réapprenons : que la vie est redoutablement précaire, désespérément incertaine.
En réalité, Fiennes lui-même montre bientôt des signes révélateurs d'insécurité intérieure. Il est détaché, abrupte, autoritaire alors qu'il commence à résoudre le problème civique et politique qui n'est autre, bien sur, que lui-même. Mais il y a (en lui) également une légère nervosité qui s'intensifie en une paranoïa fanfaronne quand le Tirésias de Alan Howard, un personnage cynique en costume froissé de pilleur d'épaves, lance de sombres indices railleurs derrière ses lunettes noires. Et l'Oedipe de Fiennes répond parfois à la solide et robuste Jocaste de Clare Higgins non pas juste comme un mari à sa femme mais comme un enfant à la mère qu'elle est également : un instant l'embrassant sur les lèvres, l'instant d'après posant sa tête contre ses genoux.
Parfois, lors de la représentation, Fiennes est devenu un peu guindé, quelque chose qu'on ne peut pas reprocher à la traduction de Frank McGuinness, qui est tout simplement familière – mais Fiennes a atteint les sommets que l'on exigeait de lui. La confiance est devenue la peur, qui est devenu l'espoir, qui est devenu le désespoir.
Le réconfort s'est avéré être une accusation déguisée. Oedipe a été révélé comme étant le poison qu'il avait promis d'éradiquer. Et Fiennes a émis un gémissement mince, sec, presque sans fin, la bouche béante comme le cheval dans le Guernica de Picasso.
D'une étrange manière, sa chemise s'est accordée avec le processus. Dans sa première phase sérieuse, il a enlevé sa veste, et la chemise était là, blanche et amidonnée. Puis elle s'est affalée en désordre sur sa taille. Et finalement, elle s'est retrouvée éclaboussée par plus de sang que les yeux d'un seul homme ne pourraient certainement en contenir, alors que le roi auto-aveuglé butait contre les choses, traînait des pieds, glissait, rampait, d'abord vers un choeur se moquant de lui, puis vers les enfants qui, nous le savons, succombent aussi à la malédiction lancée sur la maison d'Oedipe.
Peut-être cette reprise est-elle plus grandiose qu'émouvante, mais peut-être que c'est ainsi que doit être le récit de l'auto-destruction d'un tyran bien-intentionné mais imparfait. C'est aussi visuellement impressionnant, en dépit du fait qu'il n'y a pas de décors, sauf une puissante porte de bronze, quelques arbres fugitivement entrevus, et, étrangement, un long tréteau autour duquel se rassemblent 14 hommes qui portent des costumes sombres mais pas de cravates et ressemblent eux-même à des banquiers réduits à la pauvreté.
Mais ce choeur ne se contente pas de bavarder ou de se plaindre. Sa consternation, sa peur, sa terreur s'élève en un chant, et, à la fin, en un mini-opéra d'horreur et de souffrance.
C'est arrivé à Thèbes. Quelque chose d'analogue pourrait-il nous arriver ?

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The independant

Écrit par Paul Taylor
Lire l'article (en anglais) sur le site de the independant

Un voyage déchirant et fatidique autour de son père

Ça faisait plus d'une décennie que le National Theatre avait mis en scène la première grande tragédie de Sophocle. La différence d'approche entre les deux productions est complète. En 1996, Peter Hall faisait banqueroute, renouvelant les anciennes utilisations du masque et du geste ritualisé, et utilisant une traduction en distique. La nouvelle production de Jonathan Kent à l'auditorium Olivier montre ce qui peut être accompli avec un style médiateur entre formel et informel moderne.
Le choeur, par exemple, est composé de citoyens en costumes contemporains qui peuvent se transformer en une chorale de voix d'homme pour les passages de protestations et de lamentations dissonantes. Le cadre de laiton vert-de-gris est à la fois monumental et fragile – une énorme double porte montée sur le disque courbé d'une scène qui ne donne aux personnages aucun terrain plat. La traduction de Frank McGuinness est un mélange de simplicité passionnée et d'astucieuses notes modernes d'irrévérence auto-référentielle - comme quand, sachant le soulagement qu'il apportera, l'étranger de Corinthe dit à Oedipe que son père est «mort et enterré/mis au rancart».
Comme le programme le dit, Oedipe est peut-être la seule personne à ne pas souffrir du complexe que Freud a nommé d'après lui. Depuis qu'il a entendu les mots fatidiques de l'Oracle, il a fait tout ce qu'il pouvait pour s'éloigner autant que possible du parricide et de l'inceste. Alors est-il le jouet innocent du Dieu ? Cette production prend pour ligne directrice le fait que la faute du héros est sa conviction excessive puisque, ayant résolu l'énigme du Sphinx, il sait le résultat quand la connaissance est inquiétée. L'excellent Ralph Fiennes respire l'orgueil défensif d'un homme qui veut à tout prix satisfaire sa curiosité, même quand la vérité le fait imploser de l'intérieur. Il est impossible de refuser sa pitié, pourtant, au personnage accablé qui, ensuite, conjure ses enfants terrifiés de mener une vie meilleure que celle de leur père.
La production est puissante en profondeur. Alan Howard apporte un accent moqueur, Beckettien et Irlandais au devin aveugle Tirésias. Dans leur lutte pour repousser la pleine horreur de leur situation, Fiennes et la superbe Jocaste de Clare Higgins tombent dans des gestes de consolation mutuelle qui ressemblent hideusement à une version érotique de la relation mère-fils.
Une soirée impressionnante, poignante.

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Daily Express

Écrit par Paul Callan
Lire l'article (en anglais) sur le site du Daily Express

Sophocle n'a pas seulement apporté au monde cette féroce et puissante tragédie, il a aussi – grâce au docteur Freud – fourni cet inquiétant complexe impliquant un surplus d'amour maternel. Ce drame gigantesque explose vraiment quand Oedipe réalise qu'il a assassiné son propre père et, peut-être même pire, épousé sa mère. Pour ajouter à l'horreur, la ville de Thèbes est en proie à un fléau qui sera levé seulement quand le meurtrier de son père sera révélé.
Dans ce qui est certainement l'une des plus fascinantes performances vue sur la scène de Londres ces dernières années, Ralph Fiennes offre une interprétation volcanique au rôle du tragique Oedipe.
Dès le tout début, avant d'avoir réalisé quelles terribles ténèbres s'étendent sur lui, il se pavane dans l'arrogance, plaisantant même cyniquement, alors qu'il promet au peuple de la cité, chargée de malédiction, qu'il va les servir.
Mais, franchement brillamment, Fiennes épluche, couche par couche, le personnage d'Oedipe – et avec une douleur croissante. Vous voyez son alarmante panique grandir, aboutissant à un apitoiement sur soit-même qui se transforme en haine de soit-même. C'est avec une habileté consommée et une certaine auto-brutalité que Fiennes est capable de disséquer le rôle et, enfin, de le déchirer.
Peu à peu, le personnage démêle le vrai passé meurtrier d'Oedipe et se heurte à son inceste actuel. Il y a des moments où, au cours de cela, la présence sur scène de Fiennes est absolument hypnotisante.
Et il y a deux moments qui vivront longtemps dans la mémoire du théâtre. D'abord, il y a son terrible cri, presque musical, qui monte en crescendo jusqu'à ce qu'il atteigne un paroxysme effrayant. Ensuite, il y a une scène dans laquelle il trébuche finalement sur scène, à présent couvert de sang - s'étant aveuglé lui-même. Son horreur et son dégoût de lui-même sont profondément émouvants et bien qu'Oedipe ait commis l'irréparable, on ressent des affres de sympathie et de tristesse pour lui.
Clare Higgins offre un portrait convaincant en tant que son épouse/mère brisée, Jocaste. Elle communique son amour passionné pour lui et traite avec délicatesse une sortie pleine de dignité quand il s'en prend à elle.
La pièce, qui est présentée dans une nouvelle version réalisée par l'excellent Frank McGuinness, s'emballe à un rythme entraînant sous la direction efficace de Jonathan Kent. Mais la production n'est pas sans imperfections qui entament l'excellente performance de Fiennes.
C'est un mauvais choix, à mon avis, de jouer cela en habits modernes. Le choeur, par exemple, ressemble à un groupe inquiet de directeurs de banques, en habits sombres, se lamentant sur le fait qu'ils sont impliqués dans l'effondrement du crédit. Même Fiennes lui-même, qui aurait paru héroïque en robe grecque classique, apparaît comme s'il vous vendait une Bentley de seconde-main, vêtu - tel qu'il l'est au début – d'un costume très lisse.
Dans un travail classique tel que celui-ci, les vêtements contemporains ne fonctionnent simplement pas.

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Bexley Times

Écrit par Melody Foreman
Lire l'article (en anglais) sur le site de Bexley Times

Un Ralph Fiennes tourmenté en grande forme

Une représentation retentissante de "Oedipe roi" au National Theatre a garanti un silence, parmi le public, qui a augmenté plus profondément de minute en minute. A l'instar de l'énigme que ce héros grec a résolu pour bannir le Sphinx hors des portes de Thèbes, cette production épouse les nombreuses couches brutales de la noirceur humaine.
Réalisée par Jonathan Kent et mettant en vedette l'intensément énigmatique Ralph Fiennes en tant qu'Oedipe, cette production s'est avérée être l'implacable prodigieux drame qui a ravi l'âme et l'esprit.
La préparation de l'acteur Ralph Fiennes pour le rôle du roi qui a tué involontairement son propre père, épousé sa mère (Jocaste) et eu des enfants avec elle, comprenait différentes sessions avec un éminent psychanalyste. La décourageante prise de conscience - «qui nous sommes n'est jamais vraiment ce que nous sommes» – devient écoeurante maintes et maintes fois durant cette pièce alors qu'Oedipe atteint la crise ultime de sa vie qu'aucun argument ne va expliquer.
C'est au cours de telles crises sans réponses et sans retour que beaucoup d'entre nous se tournent vers la psychanalyse. Pour Oedipe, son agonie est si publique, et l'ampleur de sa torture - quand il découvre la vérité derrière le mythe de sa naissance - si grande, que nous regardons Fiennes courant dans tous les sens sur la scène comme l'homme possédé à qui il ne pourrait convenablement être confronté.
La production comprenait une distribution de 28 acteurs en costumes modernes. Les hommes de Thèbes en gris sombre formaient un choeur pour avertir et supporter leur champion lorsqu'il remet en question ses propres valeurs et habilités à gouverner.
Oedipe porte un costume et une cravate au début de la pièce, rejetant la veste et la cravate alors que sa quête pour la vérité commence à l'étouffer. Sa reine, qui s'avère également être sa mère, est joué avec le type de sophistication que l'on peut attendre d'une actrice possédant l'expérience de Clare Higgins. Son approche du rôle était bienveillante, même si le personnage était de nature à aller dans le déni concernant les soupçons les plus fulminés d'Oedipe à propos de sa parenté et la suggestion, brutalement véridique, que Jocaste et son mari de ce temps-là, le roi de Thèbes, lui avaient donné naissance.
Joué sur une scène lentement pivotante avec une gigantesque double porte conçue par Paul Brown, il y avait certains bons usages des effets de lumières créatifs de Neil Austin qui nous offrait des arbres grêlés sur un fond blanc durant chaque changement d'atmosphère significatifs.
Quand le fameux moment est arrivé pour Oedipe de déclarer qu'il ne veut plus qu'une vie de ténèbres, il s'en va de la scène. Quelques secondes plus tard, l'un de ses conseillers nous dit que Jocaste est morte et Oedipe, leur roi et héros qui autrefois a pourfendu le sphinx officieux, a percé ses propres yeux avec les pointes des broches de la robe de Jocaste.
Trempé et sanguinolent, pelotonné comme un foetus au centre de la scène, Oedipe réclame ses enfants et déclare que ses filles ont également été maudites à cause de son propre terrible sort.
Grandes, audacieuses et dramatiques, ces 90 minutes d' "Oedipe roi" doivent être vues.

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Metro

Ecrit par Claire Allfree
Lire l'article (en anglais) sur le site de Metro

Fiennes retrousse ses manches pour une pièce sur la puissance

Jonathan Kent ne pouvait pas prévoir que sa production d' "Oedipe roi", en habits modernes, aurait lieu en période de crise financière. L'heureux timing signifie que, peu importe à quel point une référence moderne peut sembler banale, les descriptions de la peste et de la pestilence, dans la pièce, paraissent exceptionnellement pressantes.
Kent transforme l'auditorium Olivier en un espace franchement civique, en faisant d'abord s'adresser au publique Créon et l'Oedipe aux manches retroussées de Ralph Fiennes. Et la première moitié de la pièce offre une étude remarquable de l'égoïsme du pouvoir. Cet Oedipe est magnifiquement arrogant, suintant de mépris et d'auto-conviction, et, en ignorant les paroles de ceux qui sont autour de lui, il fournit un acte d'accusation accablant sur le manque de responsabilité de ceux qui sont au pouvoir.
Pourtant, Fiennes comprend également que l'orgueil démesuré d'Oedipe est responsable de sa destruction. Sa performance est parfois si physiquement à vif, que c'est presque insupportable à regarder. Il chute de leader puissant à enfant impuissant, hurlant comme un animal en réalisant qu'il n'a finalement pas échappé à la malédiction, qu'il est devenu une espèce d'immondice.
Il y a un fantastique soutien de la part du déroutant Tirésias d'Alan Howard ; la Jocaste de Clare Higgins est à la fois sexuelle et maternelle ; tandis que les harmonies de la choral ajoutent un petit élément de grâce à un portrait de la souffrance sinon intransigeant. On a seulement un petit geste de compassion juste à la fin lorsque les filles d'Oedipe viennent chercher leur père aveugle et brisé, et l'emmènent au loin.

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The guardian

Écrit par Charlotte Higgins
Lire l'article (en anglais) sur le site de the Guardian

Complexe et durable

Sur papier et sur scène, le message dévastateur d' "Oedipe roi" reste aussi énergique que jamais. (...)
Dans la pièce, chaque question que pose Oedipe – Comment peut-il stopper le fléau qui laboure Thèbes ? Qui est l'assassin de Laïus ? Qu'est-il arrivé au bébé de Jocaste ? - reçoit finalement comme réponse le même mot : Oedipe. L'histoire fonctionne grâce à sa construction étanche et sa beauté formelle. Scène après scène, elle empêtre son protagoniste de manière un peu plus choquante, à travers la force terrible de sa propre logique interne, elle abat Oedipe aussi simplement et inévitablement qu'une araignée peut piéger une mouche. (...)
La production du National Theatre lance un message énergique en s'avérant être une pièce de théâtre qui capte notre époque avec une vivacité étonnante. Quand Ralph Fiennes, en Oedipe, marche sur scène, il est habillé en costume d'homme d'affaire. Il s'adresse au publique : «La ville, pourquoi est-elle irritée par les larmes ? / Pourquoi cette ville toute entière est-elle en train de souffrir ?» Il est impossible de ne pas se rappeler en un éclair des problèmes économiques du moment.
Mais plus puissamment, et plus profondément, la mise en scène de Kent et la performance de Fiennes nous montre précisément, sans relâche et de manière très détaillée, à quoi cela ressemble quand la vie d'une personne s'effiloche. Oedipe est un souverain puissant et très efficace ; il aime sa femme et ses enfants ; il a la confiance de ses associés et de son peuple ; il a sauvé la ville de la malédiction du Sphinx ; il est béni. Après 1 heures et 40 minutes de délibérations et de témoignages passés au crible – de sondages des témoins, d'explosions de colère, et d'un crescendo final assourdissant vers la compréhension – il est complètement défait : plus de royaume, plus de pouvoir, plus de famille, plus de maison, plus d'honneur, plus de dignité, et plus de vue. (...)
Sophocle nous avertit ainsi que la fortune peut changer en un jour ; qu'aussi prospère et sûrs que vous êtes, tout pourrait s'arrêter dès demain ; que personne n'est à l'abri de la catastrophe. (...)

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Herald tribune

Écrit par Matt Wolf
Lire l'article (en anglais) sur le site de Herald tribune

Fiennes recherche la vérité dans "Oedipe roi"

Oedipe, un homme hanté par le destin, semble, tel un Everest du théâtre, destiné à être escaladé, à un moment ou à un autre, par Ralph Fiennes, qui a commencé mercredi dans la tragédie de Sophocle portant le même nom à l'auditorium Olivier du National Theatre. Peu d'acteurs, anglais ou autres, possèdent la force vocale, l'intelligence, et la volonté d'un lauréat des Tony Awards de Broadway, pour aller vers un tel challenge théâtral, même avec des films présents continuellement pour exercer leur chant de sirènes. (Fiennes possède à son actif deux nominations aux oscars, et propose de loin la meilleure performance dans le dernier film d'époque de Keira Knightley, "The Duchess")
Que l'adaptation d' "Oedipe roi" du metteur en scène Jonathan Kent marque la seconde apparition sur scène de Fiennes à Londres cette année redouble simplement notre appréciation de son engagement envers l'art de la scène. On a ici un artiste qui revient au théâtre plus qu'on en a le droit d'espérer, apportant la substance conséquente et les bonnes personnes avec lui. Un acteur in extremis - ce qui indique que la gravité d' "Oedipe roi" a en fin de compte inévitablement tenu sa promesse - pourrait attirer le publique. Mais je ne peux pas imaginer un auditoire ne pas réussir à être impressionné par la totalité d'une expérience qui fait qu'une pièce de référence semble douloureusement vivante, bien avant que le sang ne commence à se répandre.
En un sens, "Oedipe roi" (...) est un thriller dont la résolution est faite en ce qui semble n'être que quelques minutes, laissant au personnage principal une autre heure ou plus pour rattraper son retard ; l'ironie dramatique ne pourrait pas avoir espéré de meilleur cas d'étude littéraire. Vous pouvez soutenir qu'Oedipe lui-même est à la recherche de la vérité, peu importe à quel point elle est terrible. «Je vais voir ce que je suis», remarque-t-il sur la fin, le verbe "voir" lui-même cruellement employé à la lumière de l'éventuelle mutilation des propres yeux du personnage. Mais Oedipe ne résiste-t-il pas considérablement à la grande connaissance dont il a soif ? «Tu es celui que tu cherches à retrouver» lui dit l'aveugle devin Tirésias (interprété par Alan Howard, lui-même un ancien Oedipe du National Theatre, ici en radieuse forme) vers le début. «Tu es tes propres enfants».
Et pourtant, il est dans la nature du débat qu'Oedipe doive disposer de multiples sources et de nombreuses perspectives sur la grotesque vérité à propos de Jocaste, sa femme et mère devenue une seule et même personne, et à propos du meurtre involontaire de son propre père, Laïus. Dans une certaine mesure, cet homme finalement maudit dans l'aveuglement, semble être sourd d'une façon quelque peu séminale : s'il écoutait seulement les remontrances qui l'engloutissent, il pourrait s'épargner à lui-même un si effroyable résultat. Sans parler d'abréger encore davantage une soirée déjà courte (95 minutes, sans entracte), même si la production de Kent est d'un bout à l'autre judicieusement rythmée.
Au début, les célèbres yeux de Fiennes paraissent plissés, traqués, comme s'ils conservaient une âme perpétuellement persécutée, pas moins que par lui-même.
Marchant vers le bord de la scène de l'auditorium Olivier – un léger tertre de bronze patiné dessiné par le très ingénieux Paul Brown - Fiennes fait figure, en costume moderne, d'un Braggadocio habillé. «Je fais la loi ici» fais remarquer Oedipe, dont le maintien très classe est en désaccord délibéré avec une Thèbes manquant de nettoyage, et livrée à la peste.
La confiance, quand bien même, cède le pas à un enfant-adulte qui peut évoluer en un instant de la défensive aux larmes, de la prétention démesurée à l'éternel besoin de réconfort que trouve Oedipe enveloppé de façon émouvante dans les bras étrangement avertis de Tirésias.
La pièce joue sur la soif d'information et le désire simultané de reculer devant elle. La Jocaste de Clare Higgins, une super nana d'âge mûr vêtue de noir qui parcoure la scène en talons aiguilles, peut expliquer le désir qu'a un enfant d'épouser sa propre mère en tant que «quelque rêve fou d'un homme», comme si la pensée était trop absurde pour les mots. Peu de temps après, confrontée à l'énormité de la situation qui va l'envoyer précocement dans la tombe, elle s'incline en embrassant le silence de quelqu'un qui en a trop su. «Je ne dirais plus rien» sont les mots d'adieu de Jocaste (...)
L'ensemble est fastueusement distribué, comme cela est apparemment devenu la norme à Londres, si cette production, "Waste" et "Ivanov" – trois brillantes reconstitutions classiques – sont de ce calibre. Howard, sa voix légèrement teintée d'une cadence irlandaise, indique le gouffre de tristesse de la pièce dans une mise ne scène à la Samuel Beckett, et ce n'est pas un accident si Tirésias fait son entrée attaché à un jeune garçon, comme si le fameusement insaisissable Godot de Beckett était enfin arrivé. Malgré toutes les lamentation en airs d'opéras, Kent sait quand insister sur quelque chose d'un peu plus neutre. Alfred Burke est remarquable eu vieux berger qui connaît le terrible fond de l'histoire d'Oedipe, un messager flétri qui, pour sa part, cesse de parler quand la conscience des circonstances se fait simplement trop grande. Et juste quand vous pensez que la température pourrait difficilement monter plus haut, le hurlement initialement silencieux d'Oedipe résonne dans une forme amplifiée autour du théâtre, et le Créon de Jasper Britton – le frère de Jocaste – vient comme pour incarner un art de gouverner à la fois apaisant et un tantinet effrayant. On sent que les émotions demeurées ne sont pas son truc.
On pourrait faire sans les quatre jeunes qui émergent à la toute dernière minute en témoins sanglotant d'Oedipe, un père en mode tout juste optimiste : «Votre dot est morte», leur dit-il, mais espérons que ces enfants d'aujourd'hui ne sont pas en train d'écouter trop attentivement. Ce manque de jugement est plus que compensé par une conclusion que donne, sur la scène, un choeur masculin absolument étonnant, qui a été vu tout au long de la pièce, regroupé en isolement collectif, chantant quelques notes en mineur, musique contrapuntique gracieusement réalisée par le compositeur Jonathan Dove dans un mode suggestivement Benjamin Brittenesque. Alors qu'ils disparaissent furtivement, prononçant le dernier mot de la pièce, nos yeux sont attirés par une noirceur qui engloutit presque la scène (...)

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The Guardian

Écrit par Michael Billington
Lire l'article (en anglais) sur le site de the Guardian

Il y a 12 ans depuis que nous avons vu la pièce maîtresse de Sophocle sur la scène de l'auditorium Olivier et le contraste entre ce temps-là et maintenant est palpable. La production de Peter Hall était masquée, habillée et en distique.
Jonathan Kent opte pour d'élégants costumes modernes et un langage d'une simplicité brutale. Mais, tout en trouvant l'approche de Kent impressionnante, j'aurais aimé qu'il suive l'initiative de Hall en nous proposant aussi "Oedipe à Colonne" qui a une qualité de guérison équilibrant l'horreur sauvage de la pièce antérieure.
Il y a plusieurs manière de définir le héros de Sophocle. Vous pouvez le voir comme une impuissante victime du destin ou comme un exemplaire chercheur de vérité. Mais la version de Frank McGuinness et la performance de Ralph Fiennes prennent le parti de le voir comme une figure arrogante, prétentieuse qui atteint l'humilité dans la souffrance. Et malgré des coupes avancées, la traduction de McGuinness fait ressortir admirablement la trajectoire tragique de la pièce.
Son Oedipe est un homme qui dit à ses jeunes Corinthiens «J'étais l'homme à battre dans cette ville» et qui rejette même les supplications de Jocaste avec un «Tom mieux n'est pas mon mieux». Mais il y a une circularité ironique à cette version dans laquelle Oedipe, ayant décrit le meurtrier de Laïus comme une «immondice», applique finalement ce mot à ses propres parricide et inceste.
Fiennes est aussi le bon acteur pour exécuter cette interprétation. Il dégage un orgueil instinctif qui souligne la fierté partiellement aveugle d'Oedipe. Mais il montre également que le héros est un homme détruit moins par la destinée que par sa propre curiosité impétueuse. Et, à la fin, il est difficile de ne pas éprouver de la pitié pour ce personnage déchu alors qu'il demande à ses enfants de «mener une belle vie, meilleure que celle de leur père.» C'est une excellente performance abîmée seulement par la décision de Kent d'utiliser un enregistrement amplifié pour le cri d'horreur d'Oedipe en hors-scène : une touche qui aurait fait se retourner le personnage dans sa tombe.
Cela dit, la production de Kent est propulsive, claire et solidement distribuée. Alan Howard – qui était Oedipe dans l'adaptation de Hall – renforce lui aussi splendidement les résonances Beckettiennes en jouant l'aveugle Tirésias comme un prophète moqueur à la cadence irlandaise. Jasper Britton capture habilement la transition de Créon, passant du diseur de vérité condamné au cruel chercheur de pouvoir. Et Clare Higgins en Jocaste, dont la relation avec Oedipe est ouvertement sexuelle, offre un grand moment de théâtre quand elle réalise la terrible vérité et que son visage s'assombrit comme une ville soudainement privée de lumière.
Mais c'est une production qui réussit parce qu'elle montre Oedipe non pas comme une marionnette des Dieux mais comme un homme dont la souffrance est liée aux défauts de son personnage ; ce qui est une définition classique de la tragédie.

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What's on stage

Écrit par Michael Coveney
Lire l'article (en anglais) sur le site de What's on stage

C'est l'une des meilleures performances de tragédie Grecque que j'ai jamais vue. Et comme le théâtre du cinquième siècle de Sophocle – dans une formidable nouvelle version, faite par Frank McGuinness pour le National Theatre en se basant sur la traduction littérale du Grecque réalisée par Kieran McGroarty – est le meilleur du genre (qui serais-je pour ne pas être d'accord avec Aristote ?), les 75 minutes de la production de Jonathan Kent sont vraiment quelque chose.
Le palais de Thèbes, dans la conception de Paul Brown, est un immense portail d'acier, poli et marbré, par lequel Ralph Fiennes en Oedipe sort confiant dans son costume sombre, un innocent psychotique, parfait acteur du pouvoir politique, anxieux (et intéressé) de savoir pourquoi il a été convoqué pour sauver sa propre ville. Le vieux prêtre (David Burke) a de disgracieuse cicatrices et des plaques rouges sur son torse. L'endroit tout entier est en train de perdre l'esprit avec la peste.
Le beau frère du roi, Créon (Jasper Britton), apporte de bonnes nouvelles dans un mauvais sort – les Dieux ont dit que tout irait bien une fois le meurtre de l'ancien roi, Laïus, vengé – ce qui est un peu comme dire que l'économie sera stabilisée une fois les taux d'intérêts revenus en place. Et alors Kent joue son coup de maître : le choeur des anciens entre, également costumé, tel les paysans, et chante sa complainte sur la glorieuse musique de Jonathan Dove.
Et ils parlent individuellement, puis ils éclatent en une lamentation commune qui n'est ni embarrassante, ni superficielle. Kent a réussi le choeur ! Choeur qui comprend, par ailleurs, plusieurs excellents acteurs . (...) Ils ont tous un rôle à jouer dans la pièce et dans la vie de Thèbes.
La scène tourne pour révéler un arbre éloigné et la silhouette du grand Alan Howard en Tirésias, le prophète aveugle, démontrant la sottise d'un ignorant dans sa déclamation du texte «Tu es celui que tu cherches à retrouver». Et, d'une manière générale - en tant qu'ancien et considérable Oedipe sur cette même scène il y a dix ans – il bénit la performance de Fiennes. Alan Howard arrive comme Pozzo avec un garçon chanceux au bout d'une longueur de corde, traquant la scène avec sa seule jambe valide aidée par une canne, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil. Il déclame son texte avec sa cadence irlandaise et son humour noir.
La pièce se dénoue avec la ferveur captivante des drames des tribunaux, Clare Higgins est une Jocaste éperdue et dévastée, Malcolm Storry un messager sonore de Corinthe, et Alfred Burke le vieux berger qui a sauvé le prince abandonné sur le flanc de la montagne.
Fiennes est magnifique d'un bout à l'autre de la pièce – énigmatique, tendu, fascinant – et particulièrement bon pour exprimer son appréhension des nouvelles indésirables embrassées par le choeur.
Une (seule) fausse note arrive par le minaudement exécrable des enfants acteurs qui jouent la descendance du roi aveugle – ils semblent avoir erré à l'école préparatoire de Hampstead – mais on ne peut pas tout avoir, comme si les recherches d'Oedipe sur lui-même avaient un certain prix.

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BBC News

Écrit par Tim Masters
Lire l'article (en anglais) sur le site de BBC News

Ralph Fiennes joue Oedipe dans une nouvelle version de la tragédie de Sophocle, adaptée par Frank McGuinness au National Theatre.
Pour une pièce qui existe depuis 430 avant JC – et avec une intrigue si familière – l' "Oedipe roi" de Sophocle n'a rien perdu de son effet de choc.
Dans la production de Jonathan Kent à l' auditorium Olivier, il y a un curieux mélange d'antique et de moderne – et, bien sur, d'horreur.
Souvent considéré comme un parfait exemple de la tragédie grecque, la pièce commence avec le peuple de Thèbes recherchant leur roi, Oedipe, pour lever la malédiction qui s'est abattue sur la ville.
Il apprend de l'Oracle que le meurtrier du précédent roi doit être expulsé (de la ville). Et en l'espace d'une journée, il se dirige inexorablement vers sa propre perte.
Ralph Fiennes est un Oedipe impressionnant. Il apparaît d'abord entre les doubles portes de son palais, dans un costume chic, débordant de confiance. Au bout de 90 minutes, il s'est transformé en un individu différent, hurlant et couvert de sang. C'est plus terrible et plus terrifiant à voir que son Voldemort sur grand écran.
La scène derrière les portes du palais est austère, avec seulement une longue table de pique-nique où le choeur d'hommes de Thèbes en costumes sombres se rassemble et chante comme une chorale de voix masculines.
Les échanges précoces entre Oedipe et le choeur révèlent combien Frank McGuinness a bien adapté ce texte antique pour un publique moderne. Le langage est fin et puissant.
Presque imperceptiblement, la scène circulaire tourne durant la plus grande partie de la pièce, comme pour refléter le lent mouvement du destin que l'intrigue sous-entend.
Il y a aussi de bonnes performances ailleurs. Alan Howard fait un mémorable Tirésias, le prophète aveugle, d'autant plus fou dans son costume de lin froissé avec chaussettes et sandales. Et Clare Higgins est parfaite en Jocaste. Son langage du corps avec Fiennes passe habilement de celui d'une femme à celui d'une mère : une minute, il s'embrassent comme des amants, et la suivante elle berce sa tête sur ses genoux comme on le fait avec un enfant malade.
Pour une pièce tellement remplie de meurtre, d'inceste, de suicide et d'auto-mutilation, on trouve quelques passages amusants. Dont le moment où Fiennes, le crâne rasé, dit que la peur des prophéties lui fait dresser les cheveux sur la tête.
C'est une pièce qui, régulièrement, ébouriffe et fait froid dans le dos. Et les dernières minutes sont aussi puissantes et catharsiques pour le publique qu'elles devaient l'être il y a plus de deux cents ans.

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The stage

Écrit par John Thaxter
Lire l'article (en anglais) sur le site de the Stage

Le nouveau texte de Frank McGuinness, une solide combinaison de langage familier, de brutalité et d'héroïsme, nous offre une tragédie Sophoclienne de notre temps, correspondant très bien à l'épique mise en scène, en costumes modernes soignés, de Jonathan Kent.
Ralph Fiennes, dans le rôle-titre, commence comme un arrogant tyran de la salle du conseil, en mission pour Apollon, devant traquer la corruption qui est en train de tuer l'économie de Thèbes. Mais après 90 minutes de cruelle auto-découverte, il devient le héros humble, hurlant - la bouche béante d'horreur - à cause de sa propre complicité, aveuglé, et serrant finalement ses enfants infortunés dans une embrassade sanglante.
Si son interprétation n'est pas loin, d'une certaine façon, de la tragique agonie passée d'Olivier en 1945, la furieusement imposante performance de Fiennes est un triomphe du théâtre contemporain, opposée à une vaste porte sur une scène presque vide, avec un superbe casting, mené par Jasper Britton dans le rôle d'un Créon aux airs d'entrepreneur, accusé à tort, mais retournant finalement la situation contre son accusateur.
Alan Howard, faisant un retour bienvenu à la scène, produit une performance magistrale en jouant l'aveugle et traînant Tirésias, un prophète moqueur sans honneur dans ce pays particulier, tandis que Malcolm Storry, dans rôle du coriace et raisonnable étranger de Corinthe, réfute l'intrigue toute entière.
La performance de la soirée revient à Clare Higgins, dont la Jocaste domine sans effort la vaste scène avec sa sexualité de mère-femme pleine de vie, se jetant littéralement dans l'action avec un abandon érotique, et tremblant de dégoût lorsqu'apparaît la vérité sur son second mariage.
Mais le coup de maître de Kent est d'avoir transformé le choeur de Thèbes, composé de vieux hommes, en l'équivalent théâtrale d'un choeur gallois de voix masculines, dont la réponse à chaque terrifiante tournure que prennent les événements devient le signal d'une rafale de chants passionnés, et même, à un moment, une danse masculine de triomphalisme grecque.

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Evening Standard

Écrit par Nicholas de Jongh
Lire l'article (en anglais) sur le site de Evening Standard

Oedipe est grand, brave et téméraire

Cela a dû être joué pour la première fois plus de 400 ans avant JC. Mais comme le surprenant roi Oedipe - au crâne rasé et au costume chic - de Ralph Fiennes nous le rappelle tout de suite, le héros tragique de Sophocle au passé terrible s'adresse tout autant à nous qu'à la Grèce antique. La production de Jonathan Kent, avec tout à la fois, un pied dans le camp antique et un autre dans le camp moderne, montre encore une terrible fascination à son sujet. Fiennes propose, comme prévu, une interprétation intense, courageuse et audacieuse pour un rôle qui demande la virtuosité émotionnelle d'un Gielgud, d'un Scofield ou d'une Redgrave, aux notes si élevées qu'il ne peut pas entièrement les atteindre.
Fidèlement à une allusion dans le programme, regarder l'Oedipe de Fiennes qui passe progressivement du hautain, au sournois, puis à l'effarement élémentaire et en vient à s'aveugler bientôt, c'est être le témoin d'un homme résolu à être son propre psychanalyste, dans une poursuite impitoyable et terrible contre celui qu'il n'a jamais su qu'il était. Grâce à son inestimable prise d'initiative sur le rôle, cet Oedipe en vient à ne pas juste ressembler à un homme qui a involontairement tué son père et, dans l'ignorance, épousé la femme qui lui a donné naissance. Son Oedipe nous parle de notre peur de l'auto-contrôle et de l'auto-découverte, du fait de nous faire face à nous-même pour découvrir la vérité et, d'une certaine manière, pour la supporter. Le Créon de Jasper Britton, vif et affablement relaxé, offre un contraste d'humeur approprié, alors qu'il devient si méprisant et cinglant au moment où il prend les rênes du pouvoirs.
L' "Oedipe roi" de Kent a un impact à la fois déconcertant et incertain en raison du choc entre style ancien et moderne.
La scène de Paul Brown, avec un disque incliné et tournant, est dominée par une gigantesque double porte en cuivre brûlé qui semble très ancienne. Pourtant, une table en bois avec bancs attachés pourrait avoir été empruntée au jardin d'un country pub. Il n'y a pas de symptômes observables de l'épouvantable fléau, sauf lors de la brève aperçue des arbres morts et des oiseaux perchés sur eux. Le choeur, qui est toujours une source d'anxiété pour les metteurs en scène contemporains, est interprété ici, déplorablement, par 15 sombres gentlemen socialement supérieurs, d'âge mûr, en costumes, qui parlent, chantent et psalmodient inégalement – couvrant souvent leurs propres mots. Cet échec est peut-être bien chanceux. Vu que les mots qu'ils ont à dire sont plus souvent ridicules que sublimes. Frank McGuinness, un dramaturge individuel toujours intéressant, n'est pas le meilleur des traducteurs. Sa nouvelle version d' "Oedipe roi" a été hyperboliquement attaquée par Germaine Greer, qui ignore le don de McGuinness pour la condensation succincte et l'optimisation des archaïsmes imposants. Même ainsi, beaucoup trop du texte de McGuinness semble absurde, et particulièrement ses discours pour le choeur (...)
Un Fiennes en manche de chemise - s'effondrant dans les bras du sombre Tirésias de Alan Howard ou sur les genoux de la Jocaste étrangement silencieuse de Clare Higgins, qui est costumée pour paraître commune d'une manière inappropriée - adopte l'apparence poursuivie d'une homme en fuite. Quand il est finalement confronté à la vérité, il émet un hurlement de douleur, sourd et long, à vous glacer le sang. Il ouvre grand la bouche dans un cri silencieux de chagrin. Aveuglé, il ressemble à un vagabond Beckettien.
C'est une soirée aux nombreux défauts, mais comme Fiennes le démontre, "Oedipe roi" reste irrésistiblement terrifiant.

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The independant

Écrit par Kate Bassett
Lire l'article (en anglais) sur le site de the Independant

Ralph Fiennes est fascinant dans la puissante nouvelle mise en scène de la mère de toutes les tragédies Grecques.(...)

L'Oedipe de Ralph Fiennes est sur le toit du monde. Dans l'adaptation de la pièce de Sophocle, en habits modernes, faite par Jonathan Kent, Fiennes arrive à grand pas depuis le portail doré de son palais de Thèbes. Le sol sous ses pieds est bombé comme la courbure de la Terre. Le crane rasé, c'est un leader dégageant une puissance brutale et aristocrate, comme un ours polaire éblouissant.
Mais il est loin d'être l'heureux roi de toutes choses. Sa fortune et son état sont au bord du gouffre. La scène de l'auditorium Olivier tourne de façon non-conventionnelle - à peine perceptible - devenant instable d'une manière nauséeuse.
A l'arrière plan, on entrevoit un arbre brisé et David Burke, tel un vieux prêtre dépenaillé marqué par la peste, émergeant du public. Dieu sait si les banques de la ville se sont probablement effondrées ici aussi...
Bien sur, Oedipe sera finalement forcé de voir qu'il est un parricide incestueux et le fléau de la société qui doit être chassé.
Je ne suis pas rentrée immédiatement dans cette production. Pendant un certain temps, la scène pivotante m'a donné le mal de mer, et le machisme de Fiennes me semblait maniéré. Les mouvements de ses bras – les mains sur les hanches, puis les doigts sur la table, puis les épaules plissées – le font ressembler à une marionnette.
Peut-être que cela devrait être plus manifestement stylisé afin de ne pas paraître figé, particulièrement alors que lui et Alan Howard sont aveugles, à la merci des pressentiments qu'entonne Tirésias comme s'ils pensent à moitié être dans un opéra.
Toutefois, il devient rapidement évident que c'est délibéré. Le choeur de citoyens soucieux est une électrisante chorale de voix d'hommes. Composées par Jonathan Dove, leurs lamentations ressemblent à un opéra moderne atonal mélangé avec d'hululant chants folkloriques et d'insistants hymnes. Cela rétablit de manière passionnante la tragédie grecque en tant que théâtre-musical. Et la nouvelle version de Frank McGuinness est douloureusement belle, avec une extraordinairement simple éloquence, c'est presque l'équivalent poétique du plain-chant. Clare Higgins, sans efforts, rend cela naturel et est une Jocaste richement complexe : une sorte de vieille Evita sur haut talons ou encore une robuste matriarche. Son amour maternel inconscient – quand elle caresse la joue de Fiennes – se transforme facilement et de façon déroutante en baisers passionnés.
Le langage du corps de Fiennes est intriguant également. Le corps rigide abrite une explosion de brutalité et il frotte spasmodiquement son crâne comme si une quelconque tumeur de culpabilité avait envahi sa conscience. Il manipule également les vers de McGuinness avec un beau rythme et un audacieux crescendo d'agonie. Réalisant finalement quelles atrocités il a commis, son hurlement bestial et éraillé – avec sa bouche grande ouverte telle un masque d'horreur - semble durer pour l'éternité. Histrionique, peut-être, mais à vous en faire dresser les cheveux sur la tête.

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Financial Times

Écrit par Ian Shuttleworth
Lire l'article (en anglais) sur le site de Financial Times

Le gémissement d'un acteur est l'un des clichés les plus durables du théâtre. Blackadder suggérait que toutes les grands tirades devraient commencer par un gémissement, mais, en pratique, peu de rôles peuvent en accueillir un. Il y a Shylock, Lear et, bien entendu, indubitablement Oedipe. Dans le rôle-titre ici, Ralph Fiennes émet deux gémissements. Le second est un rugissement amplifié, en hors-scène ,avant qu'il ne revienne à la fin, s'étant aveuglé lui-même. Le premier, par contre, émis alors qu'il réalise qu'il n'a pas réussi à fuir sa destinée et qu'il a effectivement tué son père et couché avec sa mère, est une création remarquable, constituée d'un sifflement emphysémateux entre le cri de mouette contrariée et la sirène d'alerte aérienne avant de diminuer en un grondement épuisé. Cette plainte a provoqué, lors de la représentation pour la presse, un ou deux fou-rires dans le publique, mais je pense que dans l'ensemble, Fiennes s'en est bien sorti.
Il est quasiment un acteur "nu" : il donne une vision claire de la recherche interne de son personnage. Cela convient bien à la pièce de Sophocle, qui est également sans fioritures dans la terrifiante fatalité de cette histoire où Oedipe vise à identifier la source des Plaies qui affligent Thèbes, seulement pour mieux découvrir que cette source n'est autre que lui-même. (...)
Le décor de Brown, lui aussi, est simple : une large et basse bosse de bronze vert-de-gris surmontée d'une énorme paire de portes. La butte et les portes tournent avec une lenteur atroce durant la pièce, tout comme le monde d'Oedipe qui va également faire un cercle complet, le ramenant à son point de départ avec une nouvelle et insupportable connaissance.
Le metteur en scène Jonathan Kent bénéficie d'un casting "Rolls-royce" : Malcolm Storry et Alfred Burke en vieux bergers, un efficace Jasper Britton en Créon - le beau-frère (et oncle) d'Oedipe - un Alan Howard à l'accent déroutant dans le rôle de Tirésias et Clare Higgins en tant que la mère/femme/reine Jocaste.
Il faudrait toujours regarder Jocaste quand le premier berger-messager annonce à Oedipe qu'il a été trouvé, bébé, sur la montagne ; c'est à ce moment-là qu'elle réalise, avant lui, qu'il était l'enfant qu'elle avait tenté de mettre à mort.
Higgins est fantastique ici : doucement, elle se glace presque, les yeux clos et la bouche ouverte, puis elle commence lentement à frémir d'une horreur muette. C'est le moment où la reine surclasse le prince des gémissements.

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The sunday times

Écrit par Christopher Hart
Lire l'article (en anglais) sur le site de the Sunday Times

L'adaptation d' "Oedipe roi" n'a jamais été chose facile pour le début des années 2000 – mais la tentative du National Theatre mérite toutes les éloges

"Oedipe roi" est la plus profonde des tragédies et le plus grand polar jamais écrit. Mais présenter ce récit antique sur la culpabilité et la nocivité dans le monde moderne, où les notions de culpabilité et de honte ont presque été abolies, est tout un défi. Aujourd'hui, le malheureux roi de Thèbes serait la cible parfaite des gros titres de la presse à scandale - «Quel en***eur de mère !» - ou peut-être du Jeremy Kyle Show - «J'ai tué mon père et baisé ma mère... par erreur !»
Au départ, Ralph Fiennes est loin d'être convaincant dans le rôle-titre. Sa posture et sa démarche sont bizarres – on dirait un curieux mélange entre un singe bonobo et Reggie Perrin – et cela ne peut s'expliquer de manière satisfaisante ni par le fait que les pieds d'Oedipe ont été percés lorsqu'il était enfant (le nom Oedipe signifiant «pieds gonflés», entre autre chose), ni par le fait que Fiennes est en train de marcher sur une scène composée d'un bouclier bombé qui tourne doucement. Et peut-il afficher un crane rasée comme ça et délivrer des tirades telles que «Mes cheveux se dressent sur ma tête» sans susciter de fou-rires ? A l'aube de l'horreur provenant des mots de Tirésias, il se baisse et touche ses orteils, en une posture encore simienne, nous présentant son derrière. Cela traduit difficilement la grave dignité du drame de l'Attique.
Pourtant, laissez-lui du temps – c'est une performance plus finement calculée que cela ne le semble de premier abord.
Il peut être froid, étrange et tyrannique pour commencer, jetant Tirésias sur son dos et l'asphyxiant – une touche de violence très éloignée du style de Sophocle même si Oedipienne dans son impétuosité et sa force – mais le roi de Fiennes grandit en stature d'abord dans sa puissante volonté de découvrir la vérité, puis dans sa croyance fière mais dévouée envers l'autonomie de l'homme, et, finalement, dans son inimaginable mais noble souffrance.
La Jocaste de Clare Higgins est excellente, apportant une expressivité émotionnelle plus directe au jeu, tout autant qu'une sexualité maternelle.
A un moment, elle berce la tête de son mari sur son sein – davantage comme une mère réconfortant un fils. Juste une ironie dramatique de plus dans une pièce qui en est déjà bourrée.
La traduction de Frank McGuinness a ses hauts et ses bas. Il y a dedans un emploi faux et injustifié du mot "terroriste", mais également de la véritable poésie.
Le traitement du Choeur est problématique. Certes le Choeur dans Sophocle n'est rien comparé à celui dans les pièces de Eschyle ou Euripide, dont les longues odes imposantes durent des pages.
De façon spectaculaire, pourtant, celui de Sophocle fournit de cruciaux moments de répit et des temps-mort de réflexion en dehors de l'action. Ici, ils sont tronqués, délivrés en style lyrique, parfois chantés en canon ou en chevauchement. Il s'agit d'une audacieuse façon de faire de la musique, toujours un coup authentique, et il est préférable d'imaginer "Oedipe roi" ou "Orestie" comme un opéra tragique que comme une pièce de théâtre tragique – mais la musicalité introduite signifie une perte de cohérence et d'audibilité, et le sacrifice de quelques unes des plus belles poésies. (...)
Néanmoins, la scène finale, dans laquelle le mutilé et ensanglanté Oedipe est privé de ses enfants conduit en dehors de la ville touchée par la peste est douloureuse à en pleurer. (...)
La production, en habit moderne, de Jonathan Kent reste en grande partie fidèle à l'original sans être rigidement antique, une version moderne réussie, sans anachronismes discordants. Refaire et renouveler la tragédie Grecque pour une audience contemporaine n'est pas facile. Et de s'être attaqué à la plus grand et la plus difficile des pièces, et d'en avoir fait quelque chose d'aussi frais et accessible que cela mérite de hautes éloges.

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