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Interview du magasine Première

Interview réalisée par Gérard Delorme
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À deux semaines d’intervalle, on verra Ralph Fiennes à l’affiche de Dragon rouge , de Brett Ratner , et de Spider , de David Cronenberg , dans des rôles approchants. Mais les apparences sont trompeuses...
L’Anglais Ralph Fiennes (prononcer «reille’f faille’nz») est une somme de paradoxes, de mystères et de faux-semblants. Sous la surface, on devine le faux timide et l’hypersensible. Il s’exprime précisément et sans excès, mais avec de surprenantes variations affectives qui vont de l’ennui poli à l’exaltation. Lorsqu’il parle de théâtre, ses yeux bleus illuminent son visage, qui peut aussi rapidement s’assombrir au milieu d’une phrase et prendre une expression de tristesse insondable. Ce genre de contraste peut servir de raccourci pour résumer une carrière atypique et difficile à cerner.
Dès leur plus jeune âge, Ralph et ses frères et sœurs ont été encouragés par un père photographe et une mère romancière à exprimer leurs pensées et émotions sous toutes les formes. Résultat, deux sœurs réalisatrices, un frère musicien. Ralph écrit, dessine, peint et fait l’acteur. Depuis qu’on l’a découvert dans son premier film américain, La Liste de Schindler , de Steven Spielberg , il alterne les grosses productions comme Chapeau melon et Bottes de cuir , de Jeremiah Chechik , et des films plus indépendants, avec une logique imprévisible. Ses rôles les plus marquants sont aussi les plus sombres et les plus complexes: nazi raffiné dans La Liste de Schindler , aventurier défiguré dans Le Patient anglais , psychopathe dans Dragon rouge et Spider . Mais il y a des degrés dans la folie.

Gérard Delorme : Quel rapport y a-t-il entre le personnage de Spider et celui de Dragon rouge ?

Ralph Fiennes : Les deux personnages souffrent de troubles psychiatriques. Mais, à côté de Dolarhyde, qui est très dominateur et volontaire, Spider est quelqu’un de très bénin : il est perdu, confus, timide et prudent. Il a fait quelque chose de terrible, mais pour éviter d’affronter son passé, il s’est construit un système de mémoire labyrinthique. Dolarhyde, en revanche, a besoin de tuer des gens pour se sentir puissant et satisfaire sa vision fantasmée de lui-même. Ils sont très différents.

GD : Qu’est-ce qui vous a décidé à faire les deux films ?

RF : Je tenais vraiment à tourner Spider . J’adore ce personnage très inhabituel qui a l’air de sortir d’une pièce de Samuel Beckett. Il a une vie intérieure très forte, et sa façon de se protéger du monde est très insolite, avec ses quatre chemises, sa chaussette et ses cigarettes. J’aime sa singularité. Mais le film a été très difficile à faire. Je pensais que mon seul CV aiderait à financer le film, mais cela n’a pas été le cas. Pourquoi ? Parce qu’aucun de mes films n’a été un succès commercial. Or, c’est important pour un acteur d’avoir un pied dans ce monde commercial. Ça peut aider à monter d’autres films. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté de jouer dans Dragon rouge , après avoir fait une série de films indépendants.

GD : Quelles étaient les autres raisons ?

RF : J’ai trouvé le rôle très intéressant à cause de la relation de Dolarhyde avec Emily Watson , qui l’écarte du cliché habituel du psychopathe. Le public peut voir que cet homme souffre psychologiquement. On devine bien l’incertitude et la confusion qui l’habitent dans sa recherche d’une forme de dialogue intime avec quelqu’un. Il se livre une guerre à lui-même, et cet élément apporte de la valeur au rôle compte tenu de ce que fait le personnage par ailleurs. C’est la principale raison qui m’a décidé à faire ce film, pour lequel j’avais a priori quelques réserves. D’ailleurs, elles n’ont pas complètement disparu.

GD : Qu’est-ce qui vous dérange ?

RF : L’idée de considérer les tueurs en série comme un sujet de divertissement. On peut comprendre une pointe d’humour noir chez Hannibal Lecter, mais dans le cas de Dolarhyde, j’ai pensé qu’il devait être le plus réaliste possible. Ça m’a gêné d’entendre le public rire lorsque Freddy Lounds est effrayé par mon personnage. Aucun de nous deux n’avions l’intention de jouer sur le registre comique. Nous étions très stressés après avoir tourné cette scène. Elle a été très difficile à jouer.

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