Article écrit par Thomas Sotinel et datant du 27 décembre
2005
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l'article sur le site du journal Le Monde
C'est une drôle d'idée que d'avoir associé l'univers de cet éternel collégien britannique qu'est John Le Carré à la mise en scène hyperactive de Fernando Meirelles, le réalisateur brésilien de La Cité de Dieu. Mais une bonne idée. Sa réussite tient peut-être au fait que la rencontre se tient en terrain neutre, en Afrique de l'Est. Meirelles a été chargé de l'adaptation de La Constance du jardinier, roman paru en 2001. On retrouvera dans le film l'essentiel de l'intrigue : au Kenya, la jeune épouse de Justin Quayle (Ralph Fiennes), diplomate britannique de rang moyen, est assassinée. Militante, Tessa (Rachel Weisz) passait plus de temps dans les bidonvilles de Nairobi que dans les réceptions diplomatiques. Au fil de son enquête, le veuf découvre que la disparue avait mis au jour la responsabilité d'une société pharmaceutique dans des essais thérapeutiques meurtriers, pratiqués sur les populations les plus pauvres.
Depuis la fin de la guerre froide, dont il fut un observateur à la fois passionné et lucide (après en avoir été un acteur), Le Carré égrène les maux du monde occidental, des guerres impériales américaines (Le Tailleur de Panama) au trafic d'armes (Le Directeur de nuit), comme si la disparition du socialisme réellement existant lui avait fait prendre en horreur la réalité existante du capitalisme.
Un interprète idéal
Cette indignation a fait perdre un peu de sa contenance à la prose du romancier. Mais il n'a rien perdu de son art à composer des personnages d'Anglais jetés malgré eux dans les tourments du monde. Dans cette galerie de portraits, celui de Justin Quayle, touché par la grâce de l'amour au moment où il se résigne à la solitude, est particulièrement touchant.
Il a trouvé en Ralph Fiennes un interprète idéal. Après avoir terrorisé les petits enfants en Lord Voldemort, dans Harry Potter, après avoir ébloui, au théâtre, le public parisien en Brutus dans le Jules César mis en scène par Deborah Warner, Fiennes livre une composition d'une précision émotionnelle confondante. Lorsqu'on découvre Justin Quayle, avant sa rencontre avec la jeune Tessa, il respire la médiocrité, incapable d'exprimer autre chose que sa résignation.
Son incrédulité puis son acceptation d'un bonheur inattendu font une transition jusqu'à l'essentiel du film, l'enquête qu'il mène après l'assassinat de son épouse. On sent Meirelles tout près de succomber aux tentations qu'implique pareil cliché : la souris se transforme en lion, l'humble diplomate devient James Bond. Mais le cinéaste a la sagesse de laisser son acteur mener les choses. Selon Fiennes, Justin n'est pas seulement veuf, il est déjà mort, et dans les limbes qui séparent sa vie d'antan de son inévitable exécution, il tente de donner un sens à la mort de sa femme.
Cette histoire d'un Anglais moyen saisi par la folie (naguère celle de la géopolitique, cette fois celle de l'amour), Le Carré l'a racontée bien des fois. Elle prend ici de nouvelles inflexions, plus ou moins heureuses, aux mains de Meirelles. Peut-être parce qu'il a filmé La Cité de Dieu dans les favelas de Rio, le cinéaste se sent à l'aise dans le grouillement d'une métropole africaine comme Nairobi. Il profite largement de l'étonnant privilège dont jouit The Constant Gardener : contrairement à la plupart des films occidentaux qui se passent en Afrique subsaharienne, celui-ci a été tourné à l'endroit qu'il évoque et l'esprit du lieu souffle sur le jardinier. Il arrive que Meirelles se laisse entraîner par son enthousiasme, son montage s'emballe sans trop de raison. Mais pour l'essentiel, sa manière baroque, ses contre-plongées outrancières ou ses décolorations de pellicules viennent servir les nuances des interprètes et la vigueur d'une démonstration politique circonstanciée.