Critiques traduites de l'anglais par Eily et datant d'octobre 2008
The london paper
Écrit par Ben Dowell
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the London Paper
Hmm, pas exactement une partie de plaisir, cette tragique et violente épopée
de Sophocle. Mais si jamais un homme était né pour jouer ce héros
courageux, analytique, arrogant, et finalement brisé, devenu par inadvertance
parricide et amant de sa propre mère, alors c'est bien Ralph Fiennes.
Interprétant savamment à la fois la colère et la terreur,
l'effarement et la vision claire de l'horreur dans sa déclamation imposante
de la poésie déchaînée de Frank McGuinness, son roi
semble mal à l'aise avec le pouvoir avant même qu'il extirpe la
terrible vérité de l'histoire de sa vie.
Mis en scène avec force contre un horizon venteux et sur une scène
tournante qui fait écho à la fatidique marche du temps (où
le choeur ressemble, pendant un instant, à un étrange annonciateur
de mauvais augure, et devient élégant l'instant d'après),
cette représentation de moins de 100 minutes se révèle
pour le publique aussi impitoyable que les Dieux qui jouent avec leurs peuples
comme s'ils faisaient un sport. Mais c'est fichtrement fascinant.
~o~
The Times
Écrit par Benedict Nightingale
Lire
l'article (en anglais) sur le site du Times
Une parabole des temps précaires... comme les nôtres.
Ralph Fiennes fait son entrée, dans un astucieux costume de ville, ressemblant
à un directeur de banque ou à un magnat de l'industrie. Son Oedipe
est si sereinement sûr de lui-même que, pendant un instant insensé,
on pense qu'avec lui comme président, les ennuis de Thèbes ne
peuvent pas être aussi dévastateurs. Mais la production de Jonathan
Kent poursuit son cours ironique, inévitable, et avec l'intensité
frappante de la conclusion que voulait Sophocle. Et, à notre manière,
nous réapprenons : que la vie est redoutablement précaire, désespérément
incertaine.
En réalité, Fiennes lui-même montre bientôt des signes
révélateurs d'insécurité intérieure. Il est
détaché, abrupte, autoritaire alors qu'il commence à résoudre
le problème civique et politique qui n'est autre, bien sur, que lui-même.
Mais il y a (en lui) également une légère nervosité
qui s'intensifie en une paranoïa fanfaronne quand le Tirésias de
Alan Howard, un personnage cynique en costume froissé de pilleur d'épaves,
lance de sombres indices railleurs derrière ses lunettes noires. Et l'Oedipe
de Fiennes répond parfois à la solide et robuste Jocaste de Clare
Higgins non pas juste comme un mari à sa femme mais comme un enfant à
la mère qu'elle est également : un instant l'embrassant sur les
lèvres, l'instant d'après posant sa tête contre ses genoux.
Parfois, lors de la représentation, Fiennes est devenu un peu guindé,
quelque chose qu'on ne peut pas reprocher à la traduction de Frank McGuinness,
qui est tout simplement familière – mais Fiennes a atteint les sommets
que l'on exigeait de lui. La confiance est devenue la peur, qui est devenu l'espoir,
qui est devenu le désespoir.
Le réconfort s'est avéré être une accusation déguisée.
Oedipe a été révélé comme étant le
poison qu'il avait promis d'éradiquer. Et Fiennes a émis un gémissement
mince, sec, presque sans fin, la bouche béante comme le cheval dans le
Guernica de Picasso.
D'une étrange manière, sa chemise s'est accordée avec le
processus. Dans sa première phase sérieuse, il a enlevé
sa veste, et la chemise était là, blanche et amidonnée.
Puis elle s'est affalée en désordre sur sa taille. Et finalement,
elle s'est retrouvée éclaboussée par plus de sang que les
yeux d'un seul homme ne pourraient certainement en contenir, alors que le roi
auto-aveuglé butait contre les choses, traînait des pieds, glissait,
rampait, d'abord vers un choeur se moquant de lui, puis vers les enfants qui,
nous le savons, succombent aussi à la malédiction lancée
sur la maison d'Oedipe.
Peut-être cette reprise est-elle plus grandiose qu'émouvante, mais
peut-être que c'est ainsi que doit être le récit de l'auto-destruction
d'un tyran bien-intentionné mais imparfait. C'est aussi visuellement
impressionnant, en dépit du fait qu'il n'y a pas de décors, sauf
une puissante porte de bronze, quelques arbres fugitivement entrevus, et, étrangement,
un long tréteau autour duquel se rassemblent 14 hommes qui portent des
costumes sombres mais pas de cravates et ressemblent eux-même à
des banquiers réduits à la pauvreté.
Mais ce choeur ne se contente pas de bavarder ou de se plaindre. Sa consternation,
sa peur, sa terreur s'élève en un chant, et, à la fin,
en un mini-opéra d'horreur et de souffrance.
C'est arrivé à Thèbes. Quelque chose d'analogue pourrait-il
nous arriver ?
~o~
The independant
Écrit par Paul Taylor
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the independant
Un voyage déchirant et fatidique autour de son père
Ça faisait plus d'une décennie que le National Theatre avait
mis en scène la première grande tragédie de Sophocle. La
différence d'approche entre les deux productions est complète.
En 1996, Peter Hall faisait banqueroute, renouvelant les anciennes utilisations
du masque et du geste ritualisé, et utilisant une traduction en distique.
La nouvelle production de Jonathan Kent à l'auditorium Olivier montre
ce qui peut être accompli avec un style médiateur entre formel
et informel moderne.
Le choeur, par exemple, est composé de citoyens en costumes contemporains
qui peuvent se transformer en une chorale de voix d'homme pour les passages
de protestations et de lamentations dissonantes. Le cadre de laiton vert-de-gris
est à la fois monumental et fragile – une énorme double porte
montée sur le disque courbé d'une scène qui ne donne aux
personnages aucun terrain plat. La traduction de Frank McGuinness est un mélange
de simplicité passionnée et d'astucieuses notes modernes d'irrévérence
auto-référentielle - comme quand, sachant le soulagement qu'il
apportera, l'étranger de Corinthe dit à Oedipe que son père
est «mort et enterré/mis au rancart».
Comme le programme le dit, Oedipe est peut-être la seule personne à
ne pas souffrir du complexe que Freud a nommé d'après lui. Depuis
qu'il a entendu les mots fatidiques de l'Oracle, il a fait tout ce qu'il pouvait
pour s'éloigner autant que possible du parricide et de l'inceste. Alors
est-il le jouet innocent du Dieu ? Cette production prend pour ligne directrice
le fait que la faute du héros est sa conviction excessive puisque, ayant
résolu l'énigme du Sphinx, il sait le résultat quand la
connaissance est inquiétée. L'excellent Ralph Fiennes respire
l'orgueil défensif d'un homme qui veut à tout prix satisfaire
sa curiosité, même quand la vérité le fait imploser
de l'intérieur. Il est impossible de refuser sa pitié, pourtant,
au personnage accablé qui, ensuite, conjure ses enfants terrifiés
de mener une vie meilleure que celle de leur père.
La production est puissante en profondeur. Alan Howard apporte un accent moqueur,
Beckettien et Irlandais au devin aveugle Tirésias. Dans leur lutte pour
repousser la pleine horreur de leur situation, Fiennes et la superbe Jocaste
de Clare Higgins tombent dans des gestes de consolation mutuelle qui ressemblent
hideusement à une version érotique de la relation mère-fils.
Une soirée impressionnante, poignante.
~o~
Daily Express
Écrit par Paul Callan
Lire
l'article (en anglais) sur le site du Daily Express
Sophocle n'a pas seulement apporté au monde cette féroce et puissante
tragédie, il a aussi – grâce au docteur Freud – fourni
cet inquiétant complexe impliquant un surplus d'amour maternel. Ce drame
gigantesque explose vraiment quand Oedipe réalise qu'il a assassiné
son propre père et, peut-être même pire, épousé
sa mère. Pour ajouter à l'horreur, la ville de Thèbes est
en proie à un fléau qui sera levé seulement quand le meurtrier
de son père sera révélé.
Dans ce qui est certainement l'une des plus fascinantes performances vue sur
la scène de Londres ces dernières années, Ralph Fiennes
offre une interprétation volcanique au rôle du tragique Oedipe.
Dès le tout début, avant d'avoir réalisé quelles
terribles ténèbres s'étendent sur lui, il se pavane dans
l'arrogance, plaisantant même cyniquement, alors qu'il promet au peuple
de la cité, chargée de malédiction, qu'il va les servir.
Mais, franchement brillamment, Fiennes épluche, couche par couche, le
personnage d'Oedipe – et avec une douleur croissante. Vous voyez son alarmante
panique grandir, aboutissant à un apitoiement sur soit-même qui
se transforme en haine de soit-même. C'est avec une habileté consommée
et une certaine auto-brutalité que Fiennes est capable de disséquer
le rôle et, enfin, de le déchirer.
Peu à peu, le personnage démêle le vrai passé meurtrier
d'Oedipe et se heurte à son inceste actuel. Il y a des moments où,
au cours de cela, la présence sur scène de Fiennes est absolument
hypnotisante.
Et il y a deux moments qui vivront longtemps dans la mémoire du théâtre.
D'abord, il y a son terrible cri, presque musical, qui monte en crescendo jusqu'à
ce qu'il atteigne un paroxysme effrayant. Ensuite, il y a une scène dans
laquelle il trébuche finalement sur scène, à présent
couvert de sang - s'étant aveuglé lui-même. Son horreur
et son dégoût de lui-même sont profondément émouvants
et bien qu'Oedipe ait commis l'irréparable, on ressent des affres de
sympathie et de tristesse pour lui.
Clare Higgins offre un portrait convaincant en tant que son épouse/mère
brisée, Jocaste. Elle communique son amour passionné pour lui
et traite avec délicatesse une sortie pleine de dignité quand
il s'en prend à elle.
La pièce, qui est présentée dans une nouvelle version réalisée
par l'excellent Frank McGuinness, s'emballe à un rythme entraînant
sous la direction efficace de Jonathan Kent. Mais la production n'est pas sans
imperfections qui entament l'excellente performance de Fiennes.
C'est un mauvais choix, à mon avis, de jouer cela en habits modernes.
Le choeur, par exemple, ressemble à un groupe inquiet de directeurs de
banques, en habits sombres, se lamentant sur le fait qu'ils sont impliqués
dans l'effondrement du crédit. Même Fiennes lui-même, qui
aurait paru héroïque en robe grecque classique, apparaît comme
s'il vous vendait une Bentley de seconde-main, vêtu - tel qu'il l'est
au début – d'un costume très lisse.
Dans un travail classique tel que celui-ci, les vêtements contemporains
ne fonctionnent simplement pas.
~o~
Bexley Times
Écrit par Melody Foreman
Lire
l'article (en anglais) sur le site de Bexley Times
Un Ralph Fiennes tourmenté en grande forme
Une représentation retentissante de "Oedipe roi" au National
Theatre a garanti un silence, parmi le public, qui a augmenté plus profondément
de minute en minute. A l'instar de l'énigme que ce héros grec
a résolu pour bannir le Sphinx hors des portes de Thèbes, cette
production épouse les nombreuses couches brutales de la noirceur humaine.
Réalisée par Jonathan Kent et mettant en vedette l'intensément
énigmatique Ralph Fiennes en tant qu'Oedipe, cette production s'est avérée
être l'implacable prodigieux drame qui a ravi l'âme et l'esprit.
La préparation de l'acteur Ralph Fiennes pour le rôle du roi qui
a tué involontairement son propre père, épousé sa
mère (Jocaste) et eu des enfants avec elle, comprenait différentes
sessions avec un éminent psychanalyste. La décourageante prise
de conscience - «qui nous sommes n'est jamais vraiment ce que nous sommes»
– devient écoeurante maintes et maintes fois durant cette pièce
alors qu'Oedipe atteint la crise ultime de sa vie qu'aucun argument ne va expliquer.
C'est au cours de telles crises sans réponses et sans retour que beaucoup
d'entre nous se tournent vers la psychanalyse. Pour Oedipe, son agonie est si
publique, et l'ampleur de sa torture - quand il découvre la vérité
derrière le mythe de sa naissance - si grande, que nous regardons Fiennes
courant dans tous les sens sur la scène comme l'homme possédé
à qui il ne pourrait convenablement être confronté.
La production comprenait une distribution de 28 acteurs en costumes modernes.
Les hommes de Thèbes en gris sombre formaient un choeur pour avertir
et supporter leur champion lorsqu'il remet en question ses propres valeurs et
habilités à gouverner.
Oedipe porte un costume et une cravate au début de la pièce, rejetant
la veste et la cravate alors que sa quête pour la vérité
commence à l'étouffer. Sa reine, qui s'avère également
être sa mère, est joué avec le type de sophistication que
l'on peut attendre d'une actrice possédant l'expérience de Clare
Higgins. Son approche du rôle était bienveillante, même si
le personnage était de nature à aller dans le déni concernant
les soupçons les plus fulminés d'Oedipe à propos de sa
parenté et la suggestion, brutalement véridique, que Jocaste et
son mari de ce temps-là, le roi de Thèbes, lui avaient donné
naissance.
Joué sur une scène lentement pivotante avec une gigantesque double
porte conçue par Paul Brown, il y avait certains bons usages des effets
de lumières créatifs de Neil Austin qui nous offrait des arbres
grêlés sur un fond blanc durant chaque changement d'atmosphère
significatifs.
Quand le fameux moment est arrivé pour Oedipe de déclarer qu'il
ne veut plus qu'une vie de ténèbres, il s'en va de la scène.
Quelques secondes plus tard, l'un de ses conseillers nous dit que Jocaste est
morte et Oedipe, leur roi et héros qui autrefois a pourfendu le sphinx
officieux, a percé ses propres yeux avec les pointes des broches de la
robe de Jocaste.
Trempé et sanguinolent, pelotonné comme un foetus au centre de
la scène, Oedipe réclame ses enfants et déclare que ses
filles ont également été maudites à cause de son
propre terrible sort.
Grandes, audacieuses et dramatiques, ces 90 minutes d' "Oedipe roi"
doivent être vues.
~o~
Metro
Ecrit par Claire Allfree
Lire
l'article (en anglais) sur le site de Metro
Fiennes retrousse ses manches pour une pièce sur la puissance
Jonathan Kent ne pouvait pas prévoir que sa production d' "Oedipe
roi", en habits modernes, aurait lieu en période de crise financière.
L'heureux timing signifie que, peu importe à quel point une référence
moderne peut sembler banale, les descriptions de la peste et de la pestilence,
dans la pièce, paraissent exceptionnellement pressantes.
Kent transforme l'auditorium Olivier en un espace franchement civique, en faisant
d'abord s'adresser au publique Créon et l'Oedipe aux manches retroussées
de Ralph Fiennes. Et la première moitié de la pièce offre
une étude remarquable de l'égoïsme du pouvoir. Cet Oedipe
est magnifiquement arrogant, suintant de mépris et d'auto-conviction,
et, en ignorant les paroles de ceux qui sont autour de lui, il fournit un acte
d'accusation accablant sur le manque de responsabilité de ceux qui sont
au pouvoir.
Pourtant, Fiennes comprend également que l'orgueil démesuré
d'Oedipe est responsable de sa destruction. Sa performance est parfois si physiquement
à vif, que c'est presque insupportable à regarder. Il chute de
leader puissant à enfant impuissant, hurlant comme un animal en réalisant
qu'il n'a finalement pas échappé à la malédiction,
qu'il est devenu une espèce d'immondice.
Il y a un fantastique soutien de la part du déroutant Tirésias
d'Alan Howard ; la Jocaste de Clare Higgins est à la fois sexuelle et
maternelle ; tandis que les harmonies de la choral ajoutent un petit élément
de grâce à un portrait de la souffrance sinon intransigeant. On
a seulement un petit geste de compassion juste à la fin lorsque les filles
d'Oedipe viennent chercher leur père aveugle et brisé, et l'emmènent
au loin.
~o~
The guardian
Écrit par Charlotte Higgins
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the Guardian
Complexe et durable
Sur papier et sur scène, le message dévastateur d' "Oedipe
roi" reste aussi énergique que jamais. (...)
Dans la pièce, chaque question que pose Oedipe – Comment peut-il
stopper le fléau qui laboure Thèbes ? Qui est l'assassin de Laïus
? Qu'est-il arrivé au bébé de Jocaste ? - reçoit
finalement comme réponse le même mot : Oedipe. L'histoire fonctionne
grâce à sa construction étanche et sa beauté formelle.
Scène après scène, elle empêtre son protagoniste
de manière un peu plus choquante, à travers la force terrible
de sa propre logique interne, elle abat Oedipe aussi simplement et inévitablement
qu'une araignée peut piéger une mouche. (...)
La production du National Theatre lance un message énergique en s'avérant
être une pièce de théâtre qui capte notre époque
avec une vivacité étonnante. Quand Ralph Fiennes, en Oedipe, marche
sur scène, il est habillé en costume d'homme d'affaire. Il s'adresse
au publique : «La ville, pourquoi est-elle irritée par les larmes
? / Pourquoi cette ville toute entière est-elle en train de souffrir
?» Il est impossible de ne pas se rappeler en un éclair des problèmes
économiques du moment.
Mais plus puissamment, et plus profondément, la mise en scène
de Kent et la performance de Fiennes nous montre précisément,
sans relâche et de manière très détaillée,
à quoi cela ressemble quand la vie d'une personne s'effiloche. Oedipe
est un souverain puissant et très efficace ; il aime sa femme et ses
enfants ; il a la confiance de ses associés et de son peuple ; il a sauvé
la ville de la malédiction du Sphinx ; il est béni. Après
1 heures et 40 minutes de délibérations et de témoignages
passés au crible – de sondages des témoins, d'explosions
de colère, et d'un crescendo final assourdissant vers la compréhension
– il est complètement défait : plus de royaume, plus de pouvoir,
plus de famille, plus de maison, plus d'honneur, plus de dignité, et
plus de vue. (...)
Sophocle nous avertit ainsi que la fortune peut changer en un jour ; qu'aussi
prospère et sûrs que vous êtes, tout pourrait s'arrêter
dès demain ; que personne n'est à l'abri de la catastrophe. (...)
~o~
Herald tribune
Écrit par Matt Wolf
Lire
l'article (en anglais) sur le site de Herald tribune
Fiennes recherche la vérité dans "Oedipe roi"
Oedipe, un homme hanté par le destin, semble, tel un Everest du théâtre,
destiné à être escaladé, à un moment ou à
un autre, par Ralph Fiennes, qui a commencé mercredi dans la tragédie
de Sophocle portant le même nom à l'auditorium Olivier du National
Theatre. Peu d'acteurs, anglais ou autres, possèdent la force vocale,
l'intelligence, et la volonté d'un lauréat des Tony Awards de
Broadway, pour aller vers un tel challenge théâtral, même
avec des films présents continuellement pour exercer leur chant de sirènes.
(Fiennes possède à son actif deux nominations aux oscars, et propose
de loin la meilleure performance dans le dernier film d'époque de Keira
Knightley, "The Duchess")
Que l'adaptation d' "Oedipe roi" du metteur en scène Jonathan
Kent marque la seconde apparition sur scène de Fiennes à Londres
cette année redouble simplement notre appréciation de son engagement
envers l'art de la scène. On a ici un artiste qui revient au théâtre
plus qu'on en a le droit d'espérer, apportant la substance conséquente
et les bonnes personnes avec lui. Un acteur in extremis - ce qui indique que
la gravité d' "Oedipe roi" a en fin de compte inévitablement
tenu sa promesse - pourrait attirer le publique. Mais je ne peux pas imaginer
un auditoire ne pas réussir à être impressionné par
la totalité d'une expérience qui fait qu'une pièce de référence
semble douloureusement vivante, bien avant que le sang ne commence à
se répandre.
En un sens, "Oedipe roi" (...) est un thriller dont la résolution
est faite en ce qui semble n'être que quelques minutes, laissant au personnage
principal une autre heure ou plus pour rattraper son retard ; l'ironie dramatique
ne pourrait pas avoir espéré de meilleur cas d'étude littéraire.
Vous pouvez soutenir qu'Oedipe lui-même est à la recherche de la
vérité, peu importe à quel point elle est terrible. «Je
vais voir ce que je suis», remarque-t-il sur la fin, le verbe "voir"
lui-même cruellement employé à la lumière de l'éventuelle
mutilation des propres yeux du personnage. Mais Oedipe ne résiste-t-il
pas considérablement à la grande connaissance dont il a soif ?
«Tu es celui que tu cherches à retrouver» lui dit l'aveugle
devin Tirésias (interprété par Alan Howard, lui-même
un ancien Oedipe du National Theatre, ici en radieuse forme) vers le début.
«Tu es tes propres enfants».
Et pourtant, il est dans la nature du débat qu'Oedipe doive disposer
de multiples sources et de nombreuses perspectives sur la grotesque vérité
à propos de Jocaste, sa femme et mère devenue une seule et même
personne, et à propos du meurtre involontaire de son propre père,
Laïus. Dans une certaine mesure, cet homme finalement maudit dans l'aveuglement,
semble être sourd d'une façon quelque peu séminale : s'il
écoutait seulement les remontrances qui l'engloutissent, il pourrait
s'épargner à lui-même un si effroyable résultat.
Sans parler d'abréger encore davantage une soirée déjà
courte (95 minutes, sans entracte), même si la production de Kent est
d'un bout à l'autre judicieusement rythmée.
Au début, les célèbres yeux de Fiennes paraissent plissés,
traqués, comme s'ils conservaient une âme perpétuellement
persécutée, pas moins que par lui-même.
Marchant vers le bord de la scène de l'auditorium Olivier – un léger
tertre de bronze patiné dessiné par le très ingénieux
Paul Brown - Fiennes fait figure, en costume moderne, d'un Braggadocio habillé.
«Je fais la loi ici» fais remarquer Oedipe, dont le maintien très
classe est en désaccord délibéré avec une Thèbes
manquant de nettoyage, et livrée à la peste.
La confiance, quand bien même, cède le pas à un enfant-adulte
qui peut évoluer en un instant de la défensive aux larmes, de
la prétention démesurée à l'éternel besoin
de réconfort que trouve Oedipe enveloppé de façon émouvante
dans les bras étrangement avertis de Tirésias.
La pièce joue sur la soif d'information et le désire simultané
de reculer devant elle. La Jocaste de Clare Higgins, une super nana d'âge
mûr vêtue de noir qui parcoure la scène en talons aiguilles,
peut expliquer le désir qu'a un enfant d'épouser sa propre mère
en tant que «quelque rêve fou d'un homme», comme si la pensée
était trop absurde pour les mots. Peu de temps après, confrontée
à l'énormité de la situation qui va l'envoyer précocement
dans la tombe, elle s'incline en embrassant le silence de quelqu'un qui en a
trop su. «Je ne dirais plus rien» sont les mots d'adieu de Jocaste
(...)
L'ensemble est fastueusement distribué, comme cela est apparemment devenu
la norme à Londres, si cette production, "Waste" et "Ivanov"
– trois brillantes reconstitutions classiques – sont de ce calibre.
Howard, sa voix légèrement teintée d'une cadence irlandaise,
indique le gouffre de tristesse de la pièce dans une mise ne scène
à la Samuel Beckett, et ce n'est pas un accident si Tirésias fait
son entrée attaché à un jeune garçon, comme si le
fameusement insaisissable Godot de Beckett était enfin arrivé.
Malgré toutes les lamentation en airs d'opéras, Kent sait quand
insister sur quelque chose d'un peu plus neutre. Alfred Burke est remarquable
eu vieux berger qui connaît le terrible fond de l'histoire d'Oedipe, un
messager flétri qui, pour sa part, cesse de parler quand la conscience
des circonstances se fait simplement trop grande. Et juste quand vous pensez
que la température pourrait difficilement monter plus haut, le hurlement
initialement silencieux d'Oedipe résonne dans une forme amplifiée
autour du théâtre, et le Créon de Jasper Britton –
le frère de Jocaste – vient comme pour incarner un art de gouverner
à la fois apaisant et un tantinet effrayant. On sent que les émotions
demeurées ne sont pas son truc.
On pourrait faire sans les quatre jeunes qui émergent à la toute
dernière minute en témoins sanglotant d'Oedipe, un père
en mode tout juste optimiste : «Votre dot est morte», leur dit-il,
mais espérons que ces enfants d'aujourd'hui ne sont pas en train d'écouter
trop attentivement. Ce manque de jugement est plus que compensé par une
conclusion que donne, sur la scène, un choeur masculin absolument étonnant,
qui a été vu tout au long de la pièce, regroupé
en isolement collectif, chantant quelques notes en mineur, musique contrapuntique
gracieusement réalisée par le compositeur Jonathan Dove dans un
mode suggestivement Benjamin Brittenesque. Alors qu'ils disparaissent furtivement,
prononçant le dernier mot de la pièce, nos yeux sont attirés
par une noirceur qui engloutit presque la scène (...)
~o~
The Guardian
Écrit par Michael Billington
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the Guardian
Il y a 12 ans depuis que nous avons vu la pièce maîtresse de Sophocle
sur la scène de l'auditorium Olivier et le contraste entre ce temps-là
et maintenant est palpable. La production de Peter Hall était masquée,
habillée et en distique.
Jonathan Kent opte pour d'élégants costumes modernes et un langage
d'une simplicité brutale. Mais, tout en trouvant l'approche de Kent impressionnante,
j'aurais aimé qu'il suive l'initiative de Hall en nous proposant aussi
"Oedipe à Colonne" qui a une qualité de guérison
équilibrant l'horreur sauvage de la pièce antérieure.
Il y a plusieurs manière de définir le héros de Sophocle.
Vous pouvez le voir comme une impuissante victime du destin ou comme un exemplaire
chercheur de vérité. Mais la version de Frank McGuinness et la
performance de Ralph Fiennes prennent le parti de le voir comme une figure arrogante,
prétentieuse qui atteint l'humilité dans la souffrance. Et malgré
des coupes avancées, la traduction de McGuinness fait ressortir admirablement
la trajectoire tragique de la pièce.
Son Oedipe est un homme qui dit à ses jeunes Corinthiens «J'étais
l'homme à battre dans cette ville» et qui rejette même les
supplications de Jocaste avec un «Tom mieux n'est pas mon mieux».
Mais il y a une circularité ironique à cette version dans laquelle
Oedipe, ayant décrit le meurtrier de Laïus comme une «immondice»,
applique finalement ce mot à ses propres parricide et inceste.
Fiennes est aussi le bon acteur pour exécuter cette interprétation.
Il dégage un orgueil instinctif qui souligne la fierté partiellement
aveugle d'Oedipe. Mais il montre également que le héros est un
homme détruit moins par la destinée que par sa propre curiosité
impétueuse. Et, à la fin, il est difficile de ne pas éprouver
de la pitié pour ce personnage déchu alors qu'il demande à
ses enfants de «mener une belle vie, meilleure que celle de leur père.»
C'est une excellente performance abîmée seulement par la décision
de Kent d'utiliser un enregistrement amplifié pour le cri d'horreur d'Oedipe
en hors-scène : une touche qui aurait fait se retourner le personnage
dans sa tombe.
Cela dit, la production de Kent est propulsive, claire et solidement distribuée.
Alan Howard – qui était Oedipe dans l'adaptation de Hall –
renforce lui aussi splendidement les résonances Beckettiennes en jouant
l'aveugle Tirésias comme un prophète moqueur à la cadence
irlandaise. Jasper Britton capture habilement la transition de Créon,
passant du diseur de vérité condamné au cruel chercheur
de pouvoir. Et Clare Higgins en Jocaste, dont la relation avec Oedipe est ouvertement
sexuelle, offre un grand moment de théâtre quand elle réalise
la terrible vérité et que son visage s'assombrit comme une ville
soudainement privée de lumière.
Mais c'est une production qui réussit parce qu'elle montre Oedipe non
pas comme une marionnette des Dieux mais comme un homme dont la souffrance est
liée aux défauts de son personnage ; ce qui est une définition
classique de la tragédie.
~o~
What's on stage
Écrit par Michael Coveney
Lire
l'article (en anglais) sur le site de What's on stage
C'est l'une des meilleures performances de tragédie Grecque que j'ai
jamais vue. Et comme le théâtre du cinquième siècle
de Sophocle – dans une formidable nouvelle version, faite par Frank McGuinness
pour le National Theatre en se basant sur la traduction littérale du
Grecque réalisée par Kieran McGroarty – est le meilleur du
genre (qui serais-je pour ne pas être d'accord avec Aristote ?), les 75
minutes de la production de Jonathan Kent sont vraiment quelque chose.
Le palais de Thèbes, dans la conception de Paul Brown, est un immense
portail d'acier, poli et marbré, par lequel Ralph Fiennes en Oedipe sort
confiant dans son costume sombre, un innocent psychotique, parfait acteur du
pouvoir politique, anxieux (et intéressé) de savoir pourquoi il
a été convoqué pour sauver sa propre ville. Le vieux prêtre
(David Burke) a de disgracieuse cicatrices et des plaques rouges sur son torse.
L'endroit tout entier est en train de perdre l'esprit avec la peste.
Le beau frère du roi, Créon (Jasper Britton), apporte de bonnes
nouvelles dans un mauvais sort – les Dieux ont dit que tout irait bien
une fois le meurtre de l'ancien roi, Laïus, vengé – ce qui
est un peu comme dire que l'économie sera stabilisée une fois
les taux d'intérêts revenus en place. Et alors Kent joue son coup
de maître : le choeur des anciens entre, également costumé,
tel les paysans, et chante sa complainte sur la glorieuse musique de Jonathan
Dove.
Et ils parlent individuellement, puis ils éclatent en une lamentation
commune qui n'est ni embarrassante, ni superficielle. Kent a réussi le
choeur ! Choeur qui comprend, par ailleurs, plusieurs excellents acteurs . (...)
Ils ont tous un rôle à jouer dans la pièce et dans la vie
de Thèbes.
La scène tourne pour révéler un arbre éloigné
et la silhouette du grand Alan Howard en Tirésias, le prophète
aveugle, démontrant la sottise d'un ignorant dans sa déclamation
du texte «Tu es celui que tu cherches à retrouver». Et, d'une
manière générale - en tant qu'ancien et considérable
Oedipe sur cette même scène il y a dix ans – il bénit
la performance de Fiennes. Alan Howard arrive comme Pozzo avec un garçon
chanceux au bout d'une longueur de corde, traquant la scène avec sa seule
jambe valide aidée par une canne, les yeux cachés derrière
des lunettes de soleil. Il déclame son texte avec sa cadence irlandaise
et son humour noir.
La pièce se dénoue avec la ferveur captivante des drames des tribunaux,
Clare Higgins est une Jocaste éperdue et dévastée, Malcolm
Storry un messager sonore de Corinthe, et Alfred Burke le vieux berger qui a
sauvé le prince abandonné sur le flanc de la montagne.
Fiennes est magnifique d'un bout à l'autre de la pièce –
énigmatique, tendu, fascinant – et particulièrement bon pour
exprimer son appréhension des nouvelles indésirables embrassées
par le choeur.
Une (seule) fausse note arrive par le minaudement exécrable des enfants
acteurs qui jouent la descendance du roi aveugle – ils semblent avoir erré
à l'école préparatoire de Hampstead – mais on ne peut
pas tout avoir, comme si les recherches d'Oedipe sur lui-même avaient
un certain prix.
~o~
BBC News
Écrit par Tim Masters
Lire
l'article (en anglais) sur le site de BBC News
Ralph Fiennes joue Oedipe dans une nouvelle version de la tragédie de
Sophocle, adaptée par Frank McGuinness au National Theatre.
Pour une pièce qui existe depuis 430 avant JC – et avec une intrigue
si familière – l' "Oedipe roi" de Sophocle n'a rien perdu
de son effet de choc.
Dans la production de Jonathan Kent à l' auditorium Olivier, il y a un
curieux mélange d'antique et de moderne – et, bien sur, d'horreur.
Souvent considéré comme un parfait exemple de la tragédie
grecque, la pièce commence avec le peuple de Thèbes recherchant
leur roi, Oedipe, pour lever la malédiction qui s'est abattue sur la
ville.
Il apprend de l'Oracle que le meurtrier du précédent roi doit
être expulsé (de la ville). Et en l'espace d'une journée,
il se dirige inexorablement vers sa propre perte.
Ralph Fiennes est un Oedipe impressionnant. Il apparaît d'abord entre
les doubles portes de son palais, dans un costume chic, débordant de
confiance. Au bout de 90 minutes, il s'est transformé en un individu
différent, hurlant et couvert de sang. C'est plus terrible et plus terrifiant
à voir que son Voldemort sur grand écran.
La scène derrière les portes du palais est austère, avec
seulement une longue table de pique-nique où le choeur d'hommes de Thèbes
en costumes sombres se rassemble et chante comme une chorale de voix masculines.
Les échanges précoces entre Oedipe et le choeur révèlent
combien Frank McGuinness a bien adapté ce texte antique pour un publique
moderne. Le langage est fin et puissant.
Presque imperceptiblement, la scène circulaire tourne durant la plus
grande partie de la pièce, comme pour refléter le lent mouvement
du destin que l'intrigue sous-entend.
Il y a aussi de bonnes performances ailleurs. Alan Howard fait un mémorable
Tirésias, le prophète aveugle, d'autant plus fou dans son costume
de lin froissé avec chaussettes et sandales. Et Clare Higgins est parfaite
en Jocaste. Son langage du corps avec Fiennes passe habilement de celui d'une
femme à celui d'une mère : une minute, il s'embrassent comme des
amants, et la suivante elle berce sa tête sur ses genoux comme on le fait
avec un enfant malade.
Pour une pièce tellement remplie de meurtre, d'inceste, de suicide et
d'auto-mutilation, on trouve quelques passages amusants. Dont le moment où
Fiennes, le crâne rasé, dit que la peur des prophéties lui
fait dresser les cheveux sur la tête.
C'est une pièce qui, régulièrement, ébouriffe et
fait froid dans le dos. Et les dernières minutes sont aussi puissantes
et catharsiques pour le publique qu'elles devaient l'être il y a plus
de deux cents ans.
~o~
The stage
Écrit par John Thaxter
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the Stage
Le nouveau texte de Frank McGuinness, une solide combinaison de langage familier,
de brutalité et d'héroïsme, nous offre une tragédie
Sophoclienne de notre temps, correspondant très bien à l'épique
mise en scène, en costumes modernes soignés, de Jonathan Kent.
Ralph Fiennes, dans le rôle-titre, commence comme un arrogant tyran de
la salle du conseil, en mission pour Apollon, devant traquer la corruption qui
est en train de tuer l'économie de Thèbes. Mais après 90
minutes de cruelle auto-découverte, il devient le héros humble,
hurlant - la bouche béante d'horreur - à cause de sa propre complicité,
aveuglé, et serrant finalement ses enfants infortunés dans une
embrassade sanglante.
Si son interprétation n'est pas loin, d'une certaine façon, de
la tragique agonie passée d'Olivier en 1945, la furieusement imposante
performance de Fiennes est un triomphe du théâtre contemporain,
opposée à une vaste porte sur une scène presque vide, avec
un superbe casting, mené par Jasper Britton dans le rôle d'un Créon
aux airs d'entrepreneur, accusé à tort, mais retournant finalement
la situation contre son accusateur.
Alan Howard, faisant un retour bienvenu à la scène, produit une
performance magistrale en jouant l'aveugle et traînant Tirésias,
un prophète moqueur sans honneur dans ce pays particulier, tandis que
Malcolm Storry, dans rôle du coriace et raisonnable étranger de
Corinthe, réfute l'intrigue toute entière.
La performance de la soirée revient à Clare Higgins, dont la Jocaste
domine sans effort la vaste scène avec sa sexualité de mère-femme
pleine de vie, se jetant littéralement dans l'action avec un abandon
érotique, et tremblant de dégoût lorsqu'apparaît la
vérité sur son second mariage.
Mais le coup de maître de Kent est d'avoir transformé le choeur
de Thèbes, composé de vieux hommes, en l'équivalent théâtrale
d'un choeur gallois de voix masculines, dont la réponse à chaque
terrifiante tournure que prennent les événements devient le signal
d'une rafale de chants passionnés, et même, à un moment,
une danse masculine de triomphalisme grecque.
~o~
Evening Standard
Écrit par Nicholas de Jongh
Lire
l'article (en anglais) sur le site de Evening Standard
Oedipe est grand, brave et téméraire
Cela a dû être joué pour la première fois plus de
400 ans avant JC. Mais comme le surprenant roi Oedipe - au crâne rasé
et au costume chic - de Ralph Fiennes nous le rappelle tout de suite, le héros
tragique de Sophocle au passé terrible s'adresse tout autant à
nous qu'à la Grèce antique. La production de Jonathan Kent, avec
tout à la fois, un pied dans le camp antique et un autre dans le camp
moderne, montre encore une terrible fascination à son sujet. Fiennes
propose, comme prévu, une interprétation intense, courageuse et
audacieuse pour un rôle qui demande la virtuosité émotionnelle
d'un Gielgud, d'un Scofield ou d'une Redgrave, aux notes si élevées
qu'il ne peut pas entièrement les atteindre.
Fidèlement à une allusion dans le programme, regarder l'Oedipe
de Fiennes qui passe progressivement du hautain, au sournois, puis à
l'effarement élémentaire et en vient à s'aveugler bientôt,
c'est être le témoin d'un homme résolu à être
son propre psychanalyste, dans une poursuite impitoyable et terrible contre
celui qu'il n'a jamais su qu'il était. Grâce à son inestimable
prise d'initiative sur le rôle, cet Oedipe en vient à ne pas juste
ressembler à un homme qui a involontairement tué son père
et, dans l'ignorance, épousé la femme qui lui a donné naissance.
Son Oedipe nous parle de notre peur de l'auto-contrôle et de l'auto-découverte,
du fait de nous faire face à nous-même pour découvrir la
vérité et, d'une certaine manière, pour la supporter. Le
Créon de Jasper Britton, vif et affablement relaxé, offre un contraste
d'humeur approprié, alors qu'il devient si méprisant et cinglant
au moment où il prend les rênes du pouvoirs.
L' "Oedipe roi" de Kent a un impact à la fois déconcertant
et incertain en raison du choc entre style ancien et moderne.
La scène de Paul Brown, avec un disque incliné et tournant, est
dominée par une gigantesque double porte en cuivre brûlé
qui semble très ancienne. Pourtant, une table en bois avec bancs attachés
pourrait avoir été empruntée au jardin d'un country pub.
Il n'y a pas de symptômes observables de l'épouvantable fléau,
sauf lors de la brève aperçue des arbres morts et des oiseaux
perchés sur eux. Le choeur, qui est toujours une source d'anxiété
pour les metteurs en scène contemporains, est interprété
ici, déplorablement, par 15 sombres gentlemen socialement supérieurs,
d'âge mûr, en costumes, qui parlent, chantent et psalmodient inégalement
– couvrant souvent leurs propres mots. Cet échec est peut-être
bien chanceux. Vu que les mots qu'ils ont à dire sont plus souvent ridicules
que sublimes. Frank McGuinness, un dramaturge individuel toujours intéressant,
n'est pas le meilleur des traducteurs. Sa nouvelle version d' "Oedipe roi"
a été hyperboliquement attaquée par Germaine Greer, qui
ignore le don de McGuinness pour la condensation succincte et l'optimisation
des archaïsmes imposants. Même ainsi, beaucoup trop du texte de McGuinness
semble absurde, et particulièrement ses discours pour le choeur (...)
Un Fiennes en manche de chemise - s'effondrant dans les bras du sombre Tirésias
de Alan Howard ou sur les genoux de la Jocaste étrangement silencieuse
de Clare Higgins, qui est costumée pour paraître commune d'une
manière inappropriée - adopte l'apparence poursuivie d'une homme
en fuite. Quand il est finalement confronté à la vérité,
il émet un hurlement de douleur, sourd et long, à vous glacer
le sang. Il ouvre grand la bouche dans un cri silencieux de chagrin. Aveuglé,
il ressemble à un vagabond Beckettien.
C'est une soirée aux nombreux défauts, mais comme Fiennes le démontre,
"Oedipe roi" reste irrésistiblement terrifiant.
~o~
The independant
Écrit par Kate Bassett
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the Independant
Ralph Fiennes est fascinant dans la puissante nouvelle mise en scène de la mère de toutes les tragédies Grecques.(...)
L'Oedipe de Ralph Fiennes est sur le toit du monde. Dans l'adaptation de la
pièce de Sophocle, en habits modernes, faite par Jonathan Kent, Fiennes
arrive à grand pas depuis le portail doré de son palais de Thèbes.
Le sol sous ses pieds est bombé comme la courbure de la Terre. Le crane
rasé, c'est un leader dégageant une puissance brutale et aristocrate,
comme un ours polaire éblouissant.
Mais il est loin d'être l'heureux roi de toutes choses. Sa fortune et
son état sont au bord du gouffre. La scène de l'auditorium Olivier
tourne de façon non-conventionnelle - à peine perceptible - devenant
instable d'une manière nauséeuse.
A l'arrière plan, on entrevoit un arbre brisé et David Burke,
tel un vieux prêtre dépenaillé marqué par la peste,
émergeant du public. Dieu sait si les banques de la ville se sont probablement
effondrées ici aussi...
Bien sur, Oedipe sera finalement forcé de voir qu'il est un parricide
incestueux et le fléau de la société qui doit être
chassé.
Je ne suis pas rentrée immédiatement dans cette production. Pendant
un certain temps, la scène pivotante m'a donné le mal de mer,
et le machisme de Fiennes me semblait maniéré. Les mouvements
de ses bras – les mains sur les hanches, puis les doigts sur la table,
puis les épaules plissées – le font ressembler à une
marionnette.
Peut-être que cela devrait être plus manifestement stylisé
afin de ne pas paraître figé, particulièrement alors que
lui et Alan Howard sont aveugles, à la merci des pressentiments qu'entonne
Tirésias comme s'ils pensent à moitié être dans un
opéra.
Toutefois, il devient rapidement évident que c'est délibéré.
Le choeur de citoyens soucieux est une électrisante chorale de voix d'hommes.
Composées par Jonathan Dove, leurs lamentations ressemblent à
un opéra moderne atonal mélangé avec d'hululant chants
folkloriques et d'insistants hymnes. Cela rétablit de manière
passionnante la tragédie grecque en tant que théâtre-musical.
Et la nouvelle version de Frank McGuinness est douloureusement belle, avec une
extraordinairement simple éloquence, c'est presque l'équivalent
poétique du plain-chant. Clare Higgins, sans efforts, rend cela naturel
et est une Jocaste richement complexe : une sorte de vieille Evita sur haut
talons ou encore une robuste matriarche. Son amour maternel inconscient –
quand elle caresse la joue de Fiennes – se transforme facilement et de
façon déroutante en baisers passionnés.
Le langage du corps de Fiennes est intriguant également. Le corps rigide
abrite une explosion de brutalité et il frotte spasmodiquement son crâne
comme si une quelconque tumeur de culpabilité avait envahi sa conscience.
Il manipule également les vers de McGuinness avec un beau rythme et un
audacieux crescendo d'agonie. Réalisant finalement quelles atrocités
il a commis, son hurlement bestial et éraillé – avec sa bouche
grande ouverte telle un masque d'horreur - semble durer pour l'éternité.
Histrionique, peut-être, mais à vous en faire dresser les cheveux
sur la tête.
~o~
Financial Times
Écrit par Ian Shuttleworth
Lire
l'article (en anglais) sur le site de Financial Times
Le gémissement d'un acteur est l'un des clichés les plus durables
du théâtre. Blackadder suggérait que toutes les grands tirades
devraient commencer par un gémissement, mais, en pratique, peu de rôles
peuvent en accueillir un. Il y a Shylock, Lear et, bien entendu, indubitablement
Oedipe. Dans le rôle-titre ici, Ralph Fiennes émet deux gémissements.
Le second est un rugissement amplifié, en hors-scène ,avant qu'il
ne revienne à la fin, s'étant aveuglé lui-même. Le
premier, par contre, émis alors qu'il réalise qu'il n'a pas réussi
à fuir sa destinée et qu'il a effectivement tué son père
et couché avec sa mère, est une création remarquable, constituée
d'un sifflement emphysémateux entre le cri de mouette contrariée
et la sirène d'alerte aérienne avant de diminuer en un grondement
épuisé. Cette plainte a provoqué, lors de la représentation
pour la presse, un ou deux fou-rires dans le publique, mais je pense que dans
l'ensemble, Fiennes s'en est bien sorti.
Il est quasiment un acteur "nu" : il donne une vision claire de la
recherche interne de son personnage. Cela convient bien à la pièce
de Sophocle, qui est également sans fioritures dans la terrifiante fatalité
de cette histoire où Oedipe vise à identifier la source des Plaies
qui affligent Thèbes, seulement pour mieux découvrir que cette
source n'est autre que lui-même. (...)
Le décor de Brown, lui aussi, est simple : une large et basse bosse de
bronze vert-de-gris surmontée d'une énorme paire de portes. La
butte et les portes tournent avec une lenteur atroce durant la pièce,
tout comme le monde d'Oedipe qui va également faire un cercle complet,
le ramenant à son point de départ avec une nouvelle et insupportable
connaissance.
Le metteur en scène Jonathan Kent bénéficie d'un casting
"Rolls-royce" : Malcolm Storry et Alfred Burke en vieux bergers, un
efficace Jasper Britton en Créon - le beau-frère (et oncle) d'Oedipe
- un Alan Howard à l'accent déroutant dans le rôle de Tirésias
et Clare Higgins en tant que la mère/femme/reine Jocaste.
Il faudrait toujours regarder Jocaste quand le premier berger-messager annonce
à Oedipe qu'il a été trouvé, bébé,
sur la montagne ; c'est à ce moment-là qu'elle réalise,
avant lui, qu'il était l'enfant qu'elle avait tenté de mettre
à mort.
Higgins est fantastique ici : doucement, elle se glace presque, les yeux clos
et la bouche ouverte, puis elle commence lentement à frémir d'une
horreur muette. C'est le moment où la reine surclasse le prince des gémissements.
~o~
The sunday times
Écrit par Christopher Hart
Lire
l'article (en anglais) sur le site de the Sunday Times
L'adaptation d' "Oedipe roi" n'a jamais été chose facile pour le début des années 2000 – mais la tentative du National Theatre mérite toutes les éloges
"Oedipe roi" est la plus profonde des tragédies et le plus
grand polar jamais écrit. Mais présenter ce récit antique
sur la culpabilité et la nocivité dans le monde moderne, où
les notions de culpabilité et de honte ont presque été
abolies, est tout un défi. Aujourd'hui, le malheureux roi de Thèbes
serait la cible parfaite des gros titres de la presse à scandale - «Quel
en***eur de mère !» - ou peut-être du Jeremy Kyle Show -
«J'ai tué mon père et baisé ma mère... par
erreur !»
Au départ, Ralph Fiennes est loin d'être convaincant dans le rôle-titre.
Sa posture et sa démarche sont bizarres – on dirait un curieux mélange
entre un singe bonobo et Reggie Perrin – et cela ne peut s'expliquer de
manière satisfaisante ni par le fait que les pieds d'Oedipe ont été
percés lorsqu'il était enfant (le nom Oedipe signifiant «pieds
gonflés», entre autre chose), ni par le fait que Fiennes est en
train de marcher sur une scène composée d'un bouclier bombé
qui tourne doucement. Et peut-il afficher un crane rasée comme ça
et délivrer des tirades telles que «Mes cheveux se dressent sur
ma tête» sans susciter de fou-rires ? A l'aube de l'horreur provenant
des mots de Tirésias, il se baisse et touche ses orteils, en une posture
encore simienne, nous présentant son derrière. Cela traduit difficilement
la grave dignité du drame de l'Attique.
Pourtant, laissez-lui du temps – c'est une performance plus finement calculée
que cela ne le semble de premier abord.
Il peut être froid, étrange et tyrannique pour commencer, jetant
Tirésias sur son dos et l'asphyxiant – une touche de violence très
éloignée du style de Sophocle même si Oedipienne dans son
impétuosité et sa force – mais le roi de Fiennes grandit
en stature d'abord dans sa puissante volonté de découvrir la vérité,
puis dans sa croyance fière mais dévouée envers l'autonomie
de l'homme, et, finalement, dans son inimaginable mais noble souffrance.
La Jocaste de Clare Higgins est excellente, apportant une expressivité
émotionnelle plus directe au jeu, tout autant qu'une sexualité
maternelle.
A un moment, elle berce la tête de son mari sur son sein – davantage
comme une mère réconfortant un fils. Juste une ironie dramatique
de plus dans une pièce qui en est déjà bourrée.
La traduction de Frank McGuinness a ses hauts et ses bas. Il y a dedans un emploi
faux et injustifié du mot "terroriste", mais également
de la véritable poésie.
Le traitement du Choeur est problématique. Certes le Choeur dans Sophocle
n'est rien comparé à celui dans les pièces de Eschyle ou
Euripide, dont les longues odes imposantes durent des pages.
De façon spectaculaire, pourtant, celui de Sophocle fournit de cruciaux
moments de répit et des temps-mort de réflexion en dehors de l'action.
Ici, ils sont tronqués, délivrés en style lyrique, parfois
chantés en canon ou en chevauchement. Il s'agit d'une audacieuse façon
de faire de la musique, toujours un coup authentique, et il est préférable
d'imaginer "Oedipe roi" ou "Orestie" comme un opéra
tragique que comme une pièce de théâtre tragique –
mais la musicalité introduite signifie une perte de cohérence
et d'audibilité, et le sacrifice de quelques unes des plus belles poésies.
(...)
Néanmoins, la scène finale, dans laquelle le mutilé et
ensanglanté Oedipe est privé de ses enfants conduit en dehors
de la ville touchée par la peste est douloureuse à en pleurer.
(...)
La production, en habit moderne, de Jonathan Kent reste en grande partie fidèle
à l'original sans être rigidement antique, une version moderne
réussie, sans anachronismes discordants. Refaire et renouveler la tragédie
Grecque pour une audience contemporaine n'est pas facile. Et de s'être
attaqué à la plus grand et la plus difficile des pièces,
et d'en avoir fait quelque chose d'aussi frais et accessible que cela mérite
de hautes éloges.