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Tout sur "The Constant Gardener"

Article écrit par Kevin Prin et datant du 05 décembre 2005
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La Cité de Dieu a marqué les esprits en 2002, révélant au monde un cinéaste brésilien surdoué dans sa manière de filmer son pays et de raconter une histoire pour le moins percutante. Au service d'un film constituant à la fois une chronique sociale épatante et des scènes d'action bouleversantes par leur dramatique, Fernando Meirelles surprenait, et s'imposait comme un réalisateur à suivre de très près. Trois ans et une série TV (La Cité des Hommes) plus tard, son nouveau film arrive enfin: une production anglaise cette fois-avec une distribution composée d'acteur dont le talent déjà confirmé vient faire face à la formidable prestation des acteurs amateurs de La cité de Dieu. Il adapte cette fois ci un roman de John Le Carré à qui l'on doit déjà The Tailor of Panama et même si le résultat est radicalement différent, il confirme le talent d'un réalisateur exceptionnel, qui nous offre l'un des meilleurs films de l'année.

Justin Quayle (Ralph Fiennes), diplomate pour l'ONU, en mission en Afrique, va devoir faire face à une inacceptable réalité, celle de la disparition de sa femme, violemment assassinée. Il se lance dans une enquête qui si elle éclaire la vérité va surtout lui permettre d'exorciser sa douleur.

The Constant Gardener commence d'une manière peu cavalière la mort de l'une des deux têtes d'affiche étant annoncée dès les premières images. Un enchaînement surprenant, renforçant en fait notre implication immédiate.
Justin Quayle se pose alors sur un Flashback : Justin se remémore sa rencontre avec Tessa. Débute une romance qui serait des plus quelconques si elle ne s'avérait pas touchante. On retrouve en effet ici la faculté de Fernando Meirelles à mettre en scène tout le naturel dans lequel se déroule ce genre de rencontre. Le choix des acteurs devient alors une évidence et il découle de leur face à face une inattendue mais évidente alchimie.

Que ce soit dans ses rôles de méchants, de tordus ou de gentils, Ralph Fiennes a toujours apporté à ses personnages une sensibilité qui le distinguait du commun des acteurs. Dans le rôle de Amon Goethe dans La Liste de Schindler, il contrastait sa folie meurtrière par des petites hésitations, des petites marques de faiblesse qui traduisaient la complexité de sa personnalité. Dans Spider, il soulignait sa folie par une forme de détresse. Même dans le récent Harry Potter et la coupe de feu, il surlignait son interprétation - pourtant courte - de Lord Voldemort par la douleur viscérale rongeant même le plus grand des méchants lorsqu'il donne un maléfique coup de baguette magique ou profère la moindre menace. C'est cette sensibilité, cette faculté à faire jaillir à l'écran toute la complexité d'un personnage qui est mise en exergue dans The Constant Gardener. Justin Quayle, son personnage, ne fait pratiquement rien dans un premier temps, à part subir. Et lorsqu'il se lance dans son enquête, il part dans un automatisme totalement aveugle, faisant fi de la réalité l'entourant, à savoir les menaces et dangers pesant sur lui. Un personnage vidé qu'il aurait été très simple de porter à l'écran complètement dépouillé d'émotion. Un terrain vierge idéal pour Ralph Fiennes qui utilise cette sobriété sur le papier pour mettre en relief une personnalité complexe, rongée, brisée, pleine d'incertitudes, et donc humaine. Un personnage cherchant par-dessus tout à se combattre lui-même pour ne pas craquer. Mais surtout un personnage que le scénario lance tête baissée dans un pur thriller politique.

A partir de telles bases émotionnelles construites sur la première heure, The Constant Gardener vire au thriller dans sa seconde moitié. Sur les traces du récent L'Interprète de Sydney Pollack, mais d'un niveau évidemment supérieur, le film de Fernando Meirelles enchaîne les pièces de son puzzle à toute allure, tout en prenant le soin de s'imprégner de l'univers dans lequel il se déroule. C'est là le second point commun avec La Cité de Dieu : cette propension incroyable du réalisateur à retranscrire l'atmosphère d'un pays, à partager des sensations que l'on ne peut ressentir que sur place, à nous faire toucher du doigt cette autre culture, et ce via un langage purement cinématographique. Le montage, la photographie, les mouvements de caméra, le choix des cadrages, en affectionnant particulièrement les désaxés. Mais aussi l'alternance de plans fixes et de caméra à l'épaule, les plans qui collent à la peau des personnages (incroyable première scène d'amour remplie de sensualité entre les deux acteurs). D'autres qui nous dévoilent un large et magnifique paysage recelant une richesse de construction purement graphique. Autant de vocabulaire dans un film étalant toute la noblesse de ce qui fait le cinéma.

Mais si le choc esthétique est énorme, il ne ferait son effet presque qu'après coup. The Constant Gardener raconte avant tout une histoire, portant un regard à la fois affectueux et grave sur un pays, à travers un scénario de thriller d'une efficacité éreintante. Le tout n'étant finalement qu'un prétexte pour se concentrer uniquement sur la tragédie amoureuse qui sert de point de départ. A ce titre, la fin du film est destinée à rester dans les mémoires, de par son désespoir bouleversant et sa beauté à couper le souffle, autant esthétiquement qu'émotionnellement. Cette fin marque alors le point d'orgue d'une ode à la passion, que ce soit celle des personnages, celle mise dans ce film, ou simplement celle communiquée au spectateur.

Le plus incroyable avec The Constant Gardener reste le savant mélange entre ces ingrédients si bien dosés. A commencer par Rachel Weisz qui partage le haut de l'affiche avec panache. D'un naturel que nous n'avions pas revu depuis Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, elle ne se contente pas de subire l'histoire mais la vit, passant avec grande aisance d'un registre à l'autre, incarnant un personnage qui conserve son mystère durant tout le film, et promenant une beauté physique qui atteint ici des sommets dans chaque plan. Une justesse contaminant tous les acteurs, de Hubert Koundé (La Haine) à Pete Postlehwaite, en passant par Bill Nighy qui s'éloigne de ses rôles comiques récents pour interpréter un ministre faux-cul et effrayant.

Il est donc inutile d'essayer de comparer The Constant Gardener à La Cité de Dieu : les enjeux n'ont strictement rien à voir, et on ne retrouve de l'un à l'autre que le talent de Fernando Meirelles. Une histoire encore plus mature, une ambition qui n'a d'égal que la simplicité du thème (l'amour), le tout porté par une sensibilité envahissante. Certes sa structure peut paraître un peu déroutante, mais l'effet est tel que The Constant Gardener n'est pas prêt de quitter les mémoires. Ce à quoi seuls les très grands films peuvent prétendre.

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